Discours de la Libre Pensée
au XXVIème rassemblement de Gentioux (Creuse), le 11 novembre 2013
Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,
Je vous apporte le salut fraternel de la Fédération nationale de la Libre Pensée et de la Fédération nationale Laïque des Associations des Amis des Monuments Pacifistes, Républicains et Anticléricaux.
François Hollande, Président de la République a prononcé le 7 novembre 2013, un discours qui est une véritable honte et une tâche pour la République.
Il a refusé, à la suite de tous ces prédécesseurs, de rendre la justice et de réhabiliter les Fusillés pour l’exemple. Son nom restera attaché à cette flétrissure.
Il y eut Lionel Jospin, en 1998, qui déclarait qu’il fallait réintégrer les Fusillés pour l’exemple dans la mémoire collective.
Il y eut ensuite, en 2008, Nicolas Sarkozy qui reconnaissait qu’ils n’étaient pas des lâches.
Il y a maintenant François Hollande, en 2013, qui souhaite qu’il y ait un espace pour les Fusillés pour l’exemple au Musée des Invalides.
Aucun n’a prononcé les seuls mots qui comptent :
Réhabilitation collective !
Toute honte bue, le Président de la République ose dire que la construction de l’Europe est la réponse de paix. Or, les poilus et les Fusillés pour l’exemple ont été victimes de l’Europe en marche. C’est toujours au nom d’une certaine vision de l’Europe que l’on a massacré les peuples.
Il faudra bien qu’un jour, les gouvernements de droite et de gauche s’expliquent sur cette lâcheté collective : celle du refus de rendre justice pour les victimes des pelotons d’exécutions.
Honte à tous ces gouvernements !
François Hollande a fait un choix : il a cité De Gaulle, mais n’a pas eu un mot pour Jean Jaurès, le premier exécuté pour l’exemple de la Guerre de 1914-1918. Chacun a ses références. Il s’est inscrit dans l’Union sacrée, celle qui a conduit les 650 Fusillés pour l’exemple à être assassinés.
Il a indiqué que les Fusillés pour l’exemple aurait une place dans le musée de l’Armée aux invalides, cette même armée qui les a fusillé.
Une deuxième fois, par la déclaration de François Hollande, les 650 Fusillés ont été exécutés par la France.
Une place pour les Fusillés ? Elle existe déjà, cela s’appelle les tombes où ils ont été enterrés dans la honte et l’opprobre.
Les mots que les pacifistes internationalistes et les citoyens conscients attendaient depuis si longtemps, François Hollande, comme Nicolas Sarkozy, a refusé de les prononcer.
Combien faudra-t-il d’années et de siècles pour que justice soit enfin rendue pour les 650 Fusillés pour l’exemple ?
Le Président de la République a refusé de rendre justice pour les 650 Fusillés pour l’exemple, pour les 2 500 soldats condamnés à mort, pour les 195 000 soldats dont 35 000 officiers qui sont passés sous les fourches caudines de la justice militaire pendant la Première Guerre mondiale, pour tous les citoyens qui ont souffert dans leur cœur et leur chair de la guerre.
François Hollande s’est parjuré. En tant que Président du Conseil général de la Corrèze, il s’était prononcé pour la réhabilitation collective. En tant que Président de la République, il s’est désavoué lui-même.
Nous continuerons à combattre pour la justice
Nous continuerons avec Ferdinand Buisson qui, en tant que Président de la Ligue des Droits de l’Homme, après avoir été tant d’années Président de la Libre Pensée, a impulsé avec ténacité le combat pour la réhabilitation des Fusillés pour l’exemple, dès 1915, c'est-à-dire durant le conflit.
A l’époque, le combat de justice ne pouvait être effectué qu’au cas par cas. Depuis la disparition des Fusillés et de certains dossiers, de l’impossibilité de situer les conditions juridiques voire le comportement contraint des fusilleurs et de leurs complices, ce combat de justice ne pouvait être qu’effectué pour la réhabilitation collective, appréhendée dans sa totalité.
La Libre Pensée a toujours été contre la peine de mort. Quel démocrate, quel républicain, quel militant pourrait aujourd’hui ne pas l’être ? Quand on est contre la peine de mort, on ne choisit pas entre les exécutés, on ne fait pas le tri chez les Fusillés. Il n’y a pas, il ne saurait y avoir de bonnes ou de mauvaises condamnations à mort.
Si on est contre la peine de mort, on condamne toutes les peines de mort. C’est pourquoi la réhabilitation ne peut être au cas par cas, mais elle ne peut être que collective. Sinon, les mots n’ont plus de sens.
En combattant pour une cause,
nous voulons faire rendre justice pour tous les cas
Nous voulons aujourd’hui, une nouvelle fois, remercier encore l’Association Républicaine des Anciens Combattants, l’Union Pacifiste de France, le Mouvement de la Paix et les très nombreuses sections de la Ligue des Droits de l’Homme qui ont combattu à nos côtés pour que Justice soit rendue.
Merci encore aux syndicats de la CGT et de la CGT-Force Ouvrière qui, au nom et en mémoire de tous les militants et syndiqués de la CGT originelle qui ont subi ces injustices et cette barbarie, se sont adressés solennellement au Président de la République pour exiger la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple.
Merci enfin à vous tous, d’horizons divers, connus ou inconnus, qui vous êtes mobilisés depuis tant d’années pour cette noble et juste cause.
Il est temps
de tirer un premier bilan de notre action commune
Dans le rapport d’Antoine Prost, qui est loin d’être un ami de trente ans de la Libre Pensée, remis au Ministre des Anciens Combattants Kader Arif, il est écrit : « Autour de La Libre Pensée se sont créées plusieurs associations consacrées aux monuments aux morts pacifistes. Ici le combat est plus directement politique : la mémoire des exécutions doit servir à lutter contre la guerre et notamment les guerres du moment. A plusieurs reprises, ces militants ont organisé des cérémonies autour de plaques ou des monuments évoquant les fusillés.
En 2002, ils élargissent leur action en adressant une lettre ouverte aux autorités de la République demandant « Justice pour les fusillés pour l’exemple », « justice pour les mutins ». Il y a ici comme la réinvention d’un combat des années vingt importé dans la lutte contre les guerres récentes (Irak, Afghanistan…). Les « victimes du militarisme » d’alors servent à la dénonciation de la guerre en général et des interventions armées en cours.
Depuis lors, la Libre Pensée, sous différentes modalités à étendu son combat et trouvé des alliés dans la Ligue des Droits et de l’Homme et l’Associations Républicaine des Anciens Combattants (ARAC). Ce militantisme mémoriel a connu un développement important et obtenu des résultats conséquents dans les pays anglo-saxons : les fusillés néo-zélandais viennent d’être réhabilités (2000) et les Canadiens honorés (2001), et les Anglais ont obtenu une forme d’amnistie d’ensemble. »
En effet, la question des Fusillés pour l’exemple est un problème international. Il y a eu 650 Fusillés pour l’exemple en France, 306 au Royaume-Uni, 12 en Belgique, 48 en Allemagne, plus de 800 en Italie. En Belgique, un mouvement d’opinion vient de se créer, en référence explicite à ce qui se passe en France, pour que la Belgique présente ses excuses aux victimes.
La réhabilitation en France, après ce qui s’est passé au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, au Canada amplifierait ce mouvement international pour que la justice soit rendue aux victimes de la barbarie guerrière.
La Libre Pensée organise en effet, depuis plus de 25 ans, une campagne de rassemblements autour des monuments pacifistes retrouvés dans les villes et les villages. La première fois, cela fut à ici Gentioux dans la Creuse, le 11 novembre 1988, où une poignée de militants a déclenché un profond mouvement qui s’est répandu dans tout le pays.
Depuis 1988, contre la guerre, contre toutes les guerres, pour que maudite soit la guerre comme le proclame l’orphelin de bronze, élève de l’École laïque en sabots et en blouse grise, du plateau de Millevaches, ces rassemblements se sont multipliés comme une déferlante. Cette année autour du 11 novembre, la Libre Pensée a été à l’initiative de plus d’une centaine d’initiatives et de rassemblements pacifistes pour la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple.
Ce sont des milliers de pacifistes qui, dans la diversité de leurs appartenances réciproques, se rassemblement chaque année avec la Libre Pensée pour dénoncer la guerre et exiger justice et réparation pour les Fusillés pour l’exemple et leurs familles.
Ce mouvement irréversible, qui, initié à Gentioux, a contribué à ce que 24 Conseils généraux, 3 Conseils régionaux, des centaines de municipalités ont réclamé à leur tour la réhabilitation collective des victimes des Conseils de guerre.
Ce mouvement collectif a rendu impossible que le manteau de Noé recouvre l’injustice commise il y a près de 100 ans. Par une volonté opiniâtre et tenace de milliers de libres penseurs et de pacifistes, la cause des Fusillés pour l’exemple n’a pu être occultée du devant de la scène du 100e anniversaire de la Première Guerre mondiale.
Par notre action collective incessante et féconde, la tonalité générale aujourd’hui est la dénonciation de la barbarie et de la sauvagerie de la guerre. Le cas des Fusillés pour l’exemple est devenu emblématique du refus de la mort, des assassinats, des tueries et des destructions.
Grâce à notre action commune, tout le monde ne parle que des Fusillés pour l’exemple aujourd’hui. C’est une première victoire que nous avons obtenu. Nous en obtiendrons d’autres.
Par sa déclaration du 7 novembre 2013, le Président de la République a refusé de réhabiliter collectivement les 650 Fusillés pour l’exemple. Mais les citoyens, le peuple de notre pays, ont depuis longtemps considérés que leurs anciens avaient été victimes de la guerre. Ils n’ont jamais quitté la mémoire collective. Ils n’ont jamais été oubliés. La réhabilitation morale, c’est ainsi exprimée depuis toujours. C’est la guerre qui justifie tous les assassinats.
Il faudra aussi tirer un autre bilan
Dès le début de la guerre, l’incompétence des généraux et de l’État-major a conduit à des centaines de milliers de morts pour rien. L’armée française reculait sur tous les fronts. Il fallait un coupable, le Grand Quartier Général des Armées l’a désigné : les soldats.
Ce qui explique que près de 200 000 soldats furent traduits devant la justice militaire. Mais pas un seul général ne répondit de ses actes qui coûtèrent la vie de tant d’hommes.
Le « Généralissime Joffre », technicien de bureau, formé dans le Génie militaire, on voyait bien là le militaire, mais on s’est toujours demandé où était le génie, avait une brillante théorie : celle de l’offensive généralisée. Devant la force, la puissance et la qualité de l’armée allemande, cette théorie a fait faillite et a couté la vie à des centaines de milliers de soldats français.
Ce fut la débâcle et Paris menacé. Le « Généralissime » est donc passé à une autre stratégie : la guerre d’usure, qui n’a usé, à nouveau, que des centaines de milliers d’autres vies.
Il fallait des coupables : ce seront les soldats qui étaient désignés comme lâches et non les généraux planqués à l’arrière. Ce changement de plan a été écrit et signé avec le sang des Fusillés pour l’exemple et de celui de leurs camarades tombés au champ d’horreur.
Les Conseils de guerre avaient reçu des consignes strictes : ou le prévenu était coupable et il devait être fusillé sur le champ ou il était innocent et libéré de suite. Aucune enquête supplémentaire n’était admise, aucune circonstance atténuante n’était tolérée. C’était la stupidité militaire poussée à son comble.
Dans les années 1880, Georges Clémenceau avait dit justement : « la Justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique : en rang par deux, je ne veux voir qu’une tête ». Il est dommage que le Clémenceau de 1917 ne se soit pas souvenu du Clémenceau de 1880.
Pour faire sortir les poilus des tranchées, l’État major avait deux outils à sa disposition : la gnole et les aumôniers. Et les vieilles badernes n’ont pas lésinés sur leur usage. Il a été établi que sur les 6 000 soldats passés en Conseil de guerre pour l’exemple, dont 650 seront fusillés, 50% des cas étaient saouls au moment des faits, du fait des recommandations de l’État major. Comment, en toute décence, pouvait-on leur reprocher l’état dans lequel les généraux les avaient mis ?
En refusant de réhabiliter les victimes des pelotons d’exécution, le Président de la République a écouté la caste des généraux d’aujourd’hui qui ont défendu la caste des généraux d’hier. La Grande Muette est restée muette sur l’injustice commise.
En 1914, il y avait aussi le goupillon. C’était la guerre « sainte ». Dieu contre le diable allemand. Aucun aumônier ne s’est insurgé contre les condamnations à mort. Pire, ils étaient là pour faire accepter par les victimes le sort infâme auquel ils étaient condamnés. Ils ont béni les fusilleurs et les fusillés quand les 12 balles des pelotons d’exécutions enlevaient la vie à tout jamais à ceux dont le seul crime était d’avoir eu peur. Ils ont même écrit de nombreuses lettres de repentance des Fusillés à leur place, pour excuser les fusilleurs.
Il y a donc quelque provocation à apprendre que dans la commune de Marcilly dans la Manche, à l’invitation du maire, qui doit se croire en situation concordataire, se tient une « cérémonie religieuse à l’intention des fusillés pour l’exemple ».
Comment ne pas être révoltés par cette récupération cléricale, quand l’Église catholique, par ses hommes de mains, tentent d’expliquer dans une revue « scientifique et historique » « La grande guerre des Bretons », ce qui suit : « Réputés moins perméables à certaines thèses pacifistes en raison de leur engagement religieux, les soldats bretons n’en participent pas moins aux mouvements de protestation des années 1916-1917. … La question du « refus du refus » mérite elle aussi d’être posée : la forte prégnance du catholicisme en Bretagne influe-t-il par exemple sur les réactions des combattants au cours de ces quelques semaines de crise ? »
En clair, plus tu crois, plus tu obéis. Un Dieu ou un Général, c’est du pareil au même. Oui mais, la vague des Fusillés pour l’exemple, ce sont les années 1914, 1915, 1916 et pas 1917. Décidément, la Calotte n’aura jamais aucun scrupule et aucune honte. Pour jouer du goupillon, l’Église ferait n’importe quoi.
Nous n’oublierons rien, nous n’oublierons pas
En obtenant la réhabilitation collective, une étape décisive sera franchie. Ainsi c’est la guerre, toutes les guerres qui seront condamnées. C’est le droit à la désobéissance qui sera sanctuarisé. C’est un coup d’importance qui sera porté au militarisme, au sabre et au goupillon.
Par delà aussi, se trouveront renforcés, le refus du nationalisme et du patriotisme, des défilés militaires et des commémorations patriotiques, ce qu’un écrivain qui a mal tourné ensuite, appelait « la religion drapeautique ».
Oui, plus que jamais : Guerre à la Guerre !
La Libre Pensée entend continuer son combat de justice à l’aide de l’histoire, elle entend informer les citoyens. Elle ne cessera d’agir pour obtenir la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple.
Dans tous les actes pour le centième anniversaire de la Première Guerre mondiale, nous porterons haut et fort cette exigence de réhabilitation. On ne nous fera pas taire, ni renoncer.
En 2014, nous ferons aussi le procès symbolique des généraux assassins, car après que justice sera rendue aux victimes, il sera temps de juger les coupables.
En 2015, nous ferons un grand colloque sur le thème : « Déserteurs, mutins, pacifistes, antimilitaristes de tous les pays et de toutes les guerres : unissez-vous »
En 2016, nous agirons sur le thème : « La guerre entre les nations, la guerre contre les nations »
En 2017, nous établirons que le Pétain de 1940 était déjà contenu dans le Pétain de 1917.
En 2018, nous tiendrons aussi un grand colloque sur « Le traité de Versailles, fauteur de guerres, facteur de révolutions. Ses conséquences historiques et politiques. »
Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,
Comme vous le voyez, ce ne sont pas les causes qui manquent, ce sont les bras pour les faire triompher. Nous avons besoin de vous, rejoignez la Libre Pensée !
Ni dieu, ni maître !
A bas la Calotte !
Vive la Sociale !
Maudite soit la guerre, maudites soient toutes les guerres !
Je vous remercie de votre attention.
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