samedi 16 mai 2015

Mutinerie et soviet des soldats russes en France en 1917

Photos des soldats des russes mutinés à la Courtine en 1917

La Courtine : Les délégués du soviet des soldats élus par les hommes du 1er régiment 


Malgré les tentatives des états majors de mettre au pas les soldats, ceux-ci arborent des banderoles en français ou en russe.

 Sur la banderole rouge: « Vive la Russie » et en initiales « libre, démocratique, socialiste ».

Soldats russes à la gare de La Courtine en juin 1917
Sur la banderole : « En avant pour la paix du monde entier 


19 septembre 1917 : Arrestation d’Afanasie Globa, responsable du soviet des soldats russes mutinés du camp de La Courtine
 Juin 1917 à la Courtine en Creuse
Les dirigeants du soviet des soldats russes en France qui exigent le rapatriement en Russie s’adressent aux soldats de la première brigade.


Fin 1915, les armées sur le front ouest sont déjà exsangues, car les pertes ont été effroyables : les offensives lancées face aux mitrailleuses adverses sur un front figé ont été meurtrières. Les forces s’équilibrent. Du côté des Alliés et en premier lieu en France le gouvernement a déjà fait appel par anticipation aux classes les plus jeunes. Les troupes coloniales ont également été sollicitées.

L’idée naît de « puiser » dans les « immenses réserves » du « réservoir » humain russe. Les négociations n’aboutirent qu’à l’envoi en avril 1916 en France de deux brigades, environ 20 000 hommes, et deux autres vers Salonique en Orient. Formées au camp de Mailly en Champagne, ces troupes vont être versées au combat dès l’automne 1916.

Mais au début de 1917 en Russie, après 3 jours de manifestations massives des ouvrières à Pétrograd, la révolution éclate. Le 2 mars se constitue un gouvernement provisoire dirigé par le prince Lvov. Des soviets d’ouvriers et de soldats se mettent immédiatement en place renouant ainsi avec la première révolution de 1905, 2 jours plus tard le Tsar Nicolas II abdique.

Les soldats russes s’emparèrent alors du Prikase n° 1 (l’Ordre n°1) décrété par le soviet de Petrograd pour créer sur le front français leurs propres comités de soldats. Ce Prikase indiquait dans ses articles 6 et 7 que le garde à vous au passage d’un supérieur et le salut militaire obligatoire étaient abolis hors du service et qu’étaient supprimées les formules décernées aux officiers du genre : « Votre excellence, votre noblesse », ces dernières étant remplacées par Monsieur le Général, Monsieur le Colonel. Ce décret ordonnait que soit interdit désormais le tutoiement et les mauvais traitements des gradés à l’égard des soldats.

En avril, les comités des brigades russes en France décidèrent que l’offensive de printemps serait la dernière à laquelle les unités russes participeraient. La révolte ouverte de ces unités a donc commencé au lendemain de l’échec de l’offensive Nivelle du 16 avril 1917, qui fit rappelons-le, 271 000 morts dont 6 000 soldats russes.

Le souffle de la révolution en cours en Russie, les milliers de morts dans leurs unités, l’élection de leurs délégués de comités, l’exigence de cesser les combats et de rentrer en Russie, transformèrent soldats russes en des révoltés, que rien ne pouvaient ramener à l’état antérieur.

Le 1er mai 1917 fut le tournant majeur dans cette situation, voici ce qu’écrivait un soldat de la première brigade Stéphane Gavrilenko à propos des manifestations de son unité ce jour-là :

(…) Dans ces conditions, nos délégués ouvriers et soldats ont décidé d’organiser coûte que coûte la manifestation du 1er mai, bien qu'il n'y ait pas d'autorisation.
Le premier orateur des délégués ouvriers et soldats à prendre la parole a été le camarade Kossouraïev, de la 9ème compagnie, qui a fait un discours enflammé, expliquant pourquoi nous étions venus ici: "Pour fêter la liberté de notre Russie, honorer la mémoire de nos camarades tombés pour la liberté et pour ne pas oublier ceux qui sont enfermés dans les prisons dont les murs suintent de saleté." Son discours a été prononcé avec une telle émotion que personne ne pouvait retenir ses larmes.

Après lui, est intervenu le deuxième orateur, Tsiglov, qui a exprimé nos besoins, nos souffrances et a décrit les punitions venant de nos chefs qui se comportaient de façon si révoltante. A entendre un discours si beau, chaque soldat en avait l'âme retournée, tous avaient le visage en larmes. On avait envie de dire: "Voilà comment vous, scélérats que vous êtes, vous vous comportiez avec nous les soldats. Maintenant, regardez-nous les yeux dans les yeux. Qui de nous avait raison, qui était coupable? Vous buviez notre sang, vous nous forciez à appeler blanc ce qui est noir et noir ce qui est blanc, mais le noir s'est levé devant les yeux des soldats, il s'est transformé en blanc, puis en rouge et soudain tout s'est obscurci comme dans l'épaisseur mortelle de la nuit!"

Lui a succédé le député de notre 10ème compagnie, Polikarpov, qui a salué ses camarades soldats et messieurs les officiers. Il nous a ensuite fait un discours: "Camarades, quelle joie se manifeste chez nous, en Russie! Une joie qui est parvenue jusqu'à nous. Mais nous ne devons pas oublier les camarades morts pour rien, ceux qu'on a fusillés dans les camps de Mailly, pour des actions réelles ou supposées. Nous ne devons pas oublier que lorsqu'ils sont venus de Russie, ils avaient avec eux un colonel, un véritable Allemand, qu'ils avaient repéré et qui voulait même les faire jeter à la mer. Tremblants de tout leur corps, ils avaient enduré toutes les punitions, tous les tourments qu'il leur avait infligés. Et lorsqu'ils ont eu atteint le lieu de débarquement à Marseille, là, après toutes les souffrances supportées pendant la traversée, ils ont décidé de le tuer. Tout le régiment était dans le coup, mais huit hommes ont été considérés comme coupables et le colonel Ivanov les a fait passer devant un tribunal.
Je dois dire une chose: si le colonel Ivanov a conscience de sa faute, qu'il vienne à ma place et que, face à tout le régiment, il demande pardon à ceux qu'il a fait fusiller."

Le colonel Ivanov a alors demandé pardon, s'est incliné devant tout le monde et il est descendu de la tribune. Les discours des orateurs ont ensuite recommencé. Tout le monde écoutait au pied de la tribune.(…)

Voici que le général Palitsine et notre général de brigade Lokhvitski arrivent à cheval vers notre régiment. Le général Palitsine a mis pied à terre. Il est venu près des soldats et a demandé: "Permettez-moi de venir parmi vous." On a dit: "Qu'il vienne!"
Il est arrivé, a écouté nos discours et a dit: "Messieurs les soldats, permettez-moi de vous lire l'ordre que j'ai apporté." Nous l'avons autorisé: il en a fait la lecture. Les orateurs lui ont dit: "Nous connaissons cet ordre depuis longtemps et il est inutile de nous le lire, il y en a assez d'amuser la galerie!"

Ensuite, après ces paroles, il y a eu une succession d'orateurs qui ont fait des interventions contre lui et ont entrepris de lui rappeler les sanctions auxquelles il en avait tant rajouté. Et, à la fin, tous lui ont dit d'une seule voix: "A bas le vieux bureaucrate, à bas!"
II a alors demandé: « Petits frères permettez-moi de partir!" On lui a accordé le passage et, derrière lui, tout le monde criait: "A bas!" Et il est reparti à cheval.

Les délégués ont dit ensuite: "Retournez à vos locaux de cantonnement et n'oubliez pas de chanter et que l'orchestre joue le nouvel hymne: Peuple debout, soulève-toi! et la marche funèbre: Vous êtes tombés pour la patrie. » (…)

« Le journal de Stéphane Ivanovitch Gavrilenko » Editions Privat.(pages 142 à 147, extraits)


Ainsi, après avoir publiquement conspué le commandant des troupes russes en France et manifesté le 1er mai 1917, devant la crainte de l’onde de choc des mutineries russes et de la contagion aux unités françaises, les unités furent déplacées au centre de la France, à la Courtine en Creuse où la 1ère Brigade arriva dans ce camp militaire le 26 juin 1917.

Pendant trois mois, les 10 300 soldats de cette 1ère brigade, refusèrent de se rendre et de se soumettre aux ordres du gouvernement provisoire et de leurs officiers. Bien mieux, ils renvoyèrent ces derniers et s’organisèrent autour de leur soviet.

Les soldats organisèrent leur casernement, ils défilèrent aux ordres de simples soldats. Et surtout, ils discutèrent de toutes les questions de l’heure : la guerre, le partage des terres en Russie, le pouvoir des soviets, la trahison du gouvernement provisoire qui les abandonnait et voulait qu’ils obéissent de nouveau aux officiers.

C’est le Général Comby dirigeant la XIIème région militaire qui assura la préparation et la mise en œuvre de la répression des 10 300 soldats mutinés. L’assaut fut donné le 16 septembre, le combat cessa le 19 septembre au matin. En 3 jours, 800 obus avaient été tirés sur les mutins.

Malgré la répression, la déportation de 5000 de ces mutins en Algérie, la dispersion de milliers d’autres dans compagnies de travail en France, les anciens soldats du corps expéditionnaire russe étaient devenus des défenseurs déterminés de la révolution d’octobre 1917. Ils regagnèrent leur pays devenu l’URSS à partir de 1919, à part quelques centaines qui s’installèrent en France.
La mutinerie et le soviet des soldats russes sur le sol français en 1917 ont ainsi écrit une de plus belles pages de l’histoire du pacifisme, de l’antimilitarisme et de l’internationalisme des peuples..

Jean-Paul Gady,
Adhérent de la LP87 et de « La Courtine 1917 »


Retour sur une belle aventure.....
Le 15 septembre 2012 fût pour les militants de la fédération de la Creuse de la Libre Pensée, une journée riche en émotion et pour tout dire inoubliable. Ce fut là le point d'orgue de plusieurs années d'activité autour des événements survenus à La Courtine durant l'été 1917. Cette page d'histoire fut écrite par plus de 10000 soldats Russes de la première brigade, internés dans le camp militaire de cette bourgade suite à leur mutinerie sur le front. Ils ne plièrent pas devant les exigences des officiers et, malgré la sauvage répression qui s'abattit sur eux en septembre ils refusèrent de reprendre le chemin des champs de batailles. C'est cette histoire que nous raconte le monument de granit et de bronze que nous avons inauguré ce jour là au cimetière de la Courtine, sous la présidence du regretté Marc BLONDEL qui nous avait fait l'honneur de se joindre à nous, en présence du maire , du conseiller général et d'Éric MOLODTZOFF, descendant de mutin qui a su, pour la circonstance, nous parler avec son cœur. A ce moment, où étaient rassemblées plus de deux cent personnes, nous pensions tous à la belle mobilisation qui s'était organisée autour de ce projet.
Nous pensions aux deux cent trente six souscripteurs qui nous ont rejoints, à ceux qui assistèrent aux deux conférences que nous avons organisées, l'une à Guéret, l'autre à la Courtine. Nous pensions aussi aux professeurs de la section taille de pierre du lycée des métiers du bâtiment de Felletin et à leurs élèves, qui découvrirent cette histoire grâce à nous et s'investirent avec enthousiasme dans la réalisation de ce projet, nous pensions aussi à l'artiste Clermontoise pleine de sensibilité, qui a su si bien traduire dans le bronze cette magnifique épopée.
La fédération de la Creuse de la libre Pensée est fière d'avoir su rendre hommage aux hommes de la première brigade du contingent russe en France si longtemps ignorés.
Depuis, l'association « La Courtine 1917 » poursuit et amplifie le travail accompli par la Libre Pensée avec comme objectif celui d'approfondir la connaissance que nous avons de cet événement historique et de le faire connaître au plus grand nombre tant ses enseignements restent d'actualité.
Longue vie à cette association.

Régis PARAYRE, Président de la Libre Pensée de la Creuse