Eugène
BIZEAU, poète anarchiste vigneron
(Conférence
issue des recherches de l' « Association Anne et Eugène
Bizeau » et enrichie du Mémoire Master 1 de Tony Bernoist
(Université François Rabelais de Tours)
Eugène
Bizeau naît en 1883 et meurt en 1989, à l'âge de 106 ans, soit une
naissance 12 ans après la Commune de 1871 et son décès 20 ans
après 1968, autant dire une vie à cheval sur 2 siècles, avec des
événements sociaux importants, 3 Républiques et 2 guerres
mondiales...
L'objectif
de cette présentation est d'établir la relation entre ces
événements et l'homme, le poète, d'où le choix de privilégier la
période allant de son enfance, adolescence à la fin de la deuxième
guerre mondiale (62 ans en 1945), période riche en événements
majeurs.
A
– Eugène
Bizeau à la croisée du mouvement anarchiste et de la chanson
révolutionnaire (1883/1914) : ses 30 premières années
a
– Un environnement familial propice au développement des idées
libertaires
- Bizeau naît à Veretz (près de Tours), commune qui vit également naître le poète pamphlétaire Paul Louis Courier (1772/1825).
Nota :
la mère de Bizeau est la dernière à avoir vu le poète avant son
assassinat.
- Eugène Bizeau « est issu d'une lignée de vignerons attachés à la paix, à la démocratie et au progrès social » (Robert Brécy) :
- Ces grands parents ont milité clandestinement contre l'Empire et pour le rétablissement de la République.
- Son père admire la République sociale de la Commune de Paris (1871) et sa mère rejette à 18 ans son éducation religieuse. Ses parents se marient civilement et ne baptisent pas leurs enfants.
Ces
choix parentaux entraînent menaces et agressivité dans le village,
en particulier de la part du curé. Ils vont renforcer
l'anticléricalisme et le rejet de l'Etat bourgeois de la part de
Bizeau : « Je
suis en état de révolte permanente et je le resterai jusqu'à mon
dernier souffle. La passivité c'est la mort »
- Après le certificat d'études obtenu à 13 ans, il quitte l'école pour travailler et aider sa famille ; il fait des petits boulots qui lui font rencontrer la misère des paysans.
- Puis sur les chantiers de chemins de fer, il rencontre des ouvriers qui lui font découvrir des journaux libertaires et à 14 ans, il s'abonne au « Libertaire » de Sébastien Faure (et Louise Michel) ainsi qu'au « Père peinard » d'Emile Pouget.
- Dans la bibliothèque familiale il rencontre Victor Hugo, Proudhon, Elisée Reclus etc.
- S'intéressant de plus en plus à la philosophie anarchiste, Il va écouter Sébastien Faure dans des conférences données à Tours.
Ses
choix idéologiques le portent très jeune et définitivement vers
l'anarchisme ce qu'il explique simplement :
« J'ai
connu un temps où les paysans vivaient misérablement...En
travaillant chez eux, je me suis rendu compte de l'exploitation
qu'ils subissaient...Je suis devenu anarchiste devant le spectacle de
telles iniquités ».
Fort
d'un réel talent littéraire (il a été le premier de sa classe),
le meilleur moyen pour Bizeau d'exprimer sa colère face à la
société qu'il juge injuste est donc l'écriture de poèmes et de
chansons. En ce sens sa démarche s'inscrit totalement dans la
tradition de la chanson révolutionnaire.
A
l'inverse d'autres poètes et chansonniers, Bizeau restera en sa
Touraine natale, préférant travailler sa vigne plutôt que d'aller
« se
brûler les ailes »
à la recherche de succès à Paris, comme Gaston Couté en
particulier.
b
– Bizeau, héritier du mouvement anarchiste et de la chanson
révolutionnaire
- « La chanson est un excellent moyen pour faire circuler du rêve et l'idéal anarchiste. Des chansons sociales, révolutionnaires afin de semer des idées dans la mare...On chantait beaucoup dans ma jeunesse : dans les champs, sur les chantiers » (Bizeau 1985)
Le
poème « Nos chansons » publié dans la Muse rouge en
1919 illustre le propos :
« Nos
chansons à nous sont des chansons rudes
Où
monte le bruit des moteurs d'acier,
Et
l'amer dégoût de la servitude
Dont
nous supportons le morne collier...
Nos
chansons à nous sont des chansons rudes
donnant
à la plèbe un visage altier.
Nos
chansons à nous sont des chansons mâles
clamant
les espoirs des peuples meurtris,
Dont
les dictateurs étouffent les râles
Et
plongent les yeux dans un brouillard gris...
Nos
chansons à nous sont des chansons mâles
Semant
l'idéal des libres esprits.
Nos
chansons à nous sont des chansons fortes
Détournant
les gueux du sanglant chemin
Où
les os blanchis des phalanges mortes
Nous
montrent l'horreur du carnage humain...
Nos
chansons à nous sont des chansons fortes
Qui
nous font rêver d'un meilleur destin !
La
chanson sociale prend de l'importance tout au long du 19ème siècle
et jusqu'au début du 20ème (cf. guerre de 1914/1918) :
- Elle est un moyen d'information, de propagande s'adressant à tous les hommes. L'oralité a d'autant plus d'importance que l'analphabétisme est très important (cf. l'école publique n'arrive que dans les années 1880). Dès lors la chanson est un véritable tract politique circulant dans les usines, les meetings et les manifestations.
- Cet usage politique de la chanson dont s'emparent, avec d'autres, les anarchistes, n'est pas nouveau et remonte à la Révolution française (1789), riche en chansons populaires (cf. la Carmagnole).
- Il se développe de plus en plus avec les événements (cf. révolte des canuts),et révolutions de 1830, 1848. Les chansons sont alors interprétées dans les goguettes (autorisées ou clandestines) qui naissent à cette époque.
- Cet usage politique de la chanson atteint son apogée avec la Commune de Paris en 1871, donnant lieu à des dizaines de poèmes et chansons.
La
chanson sociale est caractérisée par l'ambivalence consistant à
rendre hommage aux vaincus et morts de ces révolutions tout en
propageant haut et fort leurs revendications. Il s'agit d'honorer les
victimes, le prolétariat et en même temps continuer leur combat
pour la révolution sociale.
Bizeau
s'inscrit parfaitement dans cette démarche avec le poème « Commune,
espoir du monde » :
Aux
premiers jours d’un printemps sombre
Où les canons crachaient du feu,
Se sont levés des gueux sans nombre
Qui ne voulaient ni roi ni dieu…
Ils ont lutté contre Versailles
Dont les obus criblaient Paris,
Puis ils sont morts sous la mitraille,
Assassinés par des bandits !
Où les canons crachaient du feu,
Se sont levés des gueux sans nombre
Qui ne voulaient ni roi ni dieu…
Ils ont lutté contre Versailles
Dont les obus criblaient Paris,
Puis ils sont morts sous la mitraille,
Assassinés par des bandits !
Commune,
espoir du monde,
Sous les toits des faubourgs,
Plus forte et plus féconde
Tu renaîtras un jour !
Sous les toits des faubourgs,
Plus forte et plus féconde
Tu renaîtras un jour !
Petits
enfants, vieillards et femmes,
Combien sont-ils de massacrés
Dont nous sentons frémir les âmes
Devant le Mur des Fédérés ?
Au pays noir des spectres blêmes,
Martyrs sans nom, combien sont-ils,
Ceux dont le sang rougit l’emblème
Qui fit trembler leurs bourreaux vils ?
Combien sont-ils de massacrés
Dont nous sentons frémir les âmes
Devant le Mur des Fédérés ?
Au pays noir des spectres blêmes,
Martyrs sans nom, combien sont-ils,
Ceux dont le sang rougit l’emblème
Qui fit trembler leurs bourreaux vils ?
Malgré
les soirs d’âpre infortune,
Les trahisons et les rancœurs,
Le souvenir de la Commune
Reste vivant dans tous les cœurs
Salut, Commune ! Enfant martyre
Des grands lutteurs des temps passés ;
Et que maudits soient les vampires
Pour tout le sang qu’ils ont versé !
Les trahisons et les rancœurs,
Le souvenir de la Commune
Reste vivant dans tous les cœurs
Salut, Commune ! Enfant martyre
Des grands lutteurs des temps passés ;
Et que maudits soient les vampires
Pour tout le sang qu’ils ont versé !
Les
années 1900, la première guerre mondiale en particulier entraînent
une grande modification :
- La période de « Propagande par le fait » (1892/1895) divise le mouvement ouvrier, les anarchistes eux-mêmes : d'un côté des anarchistes individualistes commettent des attentats terroristes voulant ainsi accélérer la révolution sociale par la prise de conscience des masses, de l'autre des anarchistes refusent toute violence, dont Eugène Bizeau.
Nota :
Louise Michel, Emile Pouget etc., soutiendront un temps la
propagande par le fait.
- Cette période se termine par l'entrée de la majorité des anarchistes dans le syndicalisme où ils vont être très influents (cf.CGT en 1905 et Charte d'Amiens en 1906)
- Cependant, avec la guerre de 1914/1918 disparaît pour longtemps la croyance en la proximité d'une révolution sociale.
- Enfin les années à cheval sur les 2 siècles voient des transformations importantes quant aux lieux et moyens de diffusion de la chanson :
- Les goguettes nées dans les années 1830 et qui ont vu se propager la chanson sociale laissent progressivement la place aux cabarets et au Music-hall.
- Le café concert devient un lieu de spectacle supprimant le rôle révolutionnaire de la chanson. De plus, avec l'invention du phonographe, on assiste à une massification de la diffusion de la chanson et à la professionnalisation des chanteurs.
Par
rapport à cette réalité des fin du 19ème et début du 20ème
siècle, la « Muse Rouge » née en 1901, et que Bizeau
intègre en 1907, est le dernier rempart des chansonniers qui
veulent rester fidèles à l'esprit et à l'histoire de la chanson
révolutionnaire.
c
– Bizeau et le groupe de chansonniers de la « Muse Rouge »,
l'âge d'or de la chanson révolutionnaire
(1900/1914)
- Le groupe de la « Muse Rouge » naît en 1901 à Paris, sous la houlette de militants pacifistes, majoritairement anarchistes (Sébastien Faure, Constant Marie, Jean Baptiste Clément, Charles d'Avray l'auteur de « l'hymne de l'Anarchie », etc .)
- Au début, il se nomme « Groupe des poètes et chansonniers révolutionnaires » et s'organise en une sorte de syndicat participant aux fêtes corporatives et ouvrières, ce qui affirme bien les ambitions d'un groupe motivé par la lutte pour la liberté, la justice sociale et pour la paix.
- Le nom de « Muse Rouge » (en 1907) vient du titre d'une chanson écrite par Constant Marie, en hommage à Louise Michel.
En
adoptant ce nom, la « Muse Rouge », le groupe se place
comme l'héritier de l'esprit des communards ; d'ailleurs,
outre Jean Baptiste Clément, la veuve d'Eugène Pottier en fait
partie.
- Une spécificité de la Muse rouge est que ses membres ne sont pas des professionnels mais des militants qui travaillent à l'usine, aux champs ou dans des bureaux (Bizeau est vigneron). Par cette démarche et à l'opposé de toute la sphère marchande qui va naître avec les cafés concert au milieu des années 1900, la « Muse Rouge » poursuit la tradition des goguettes et des poètes-ouvriers proches des réalités sociales vécues par les travailleurs.
- Sa renommée repose sur sa participation à Paris comme en province à de nombreuses fêtes populaires, ouvrières initiées par les syndicats, universités populaires, groupes politiques et loges maçonniques.
- A Paris, la Muse rouge possède un lieu, la salle « Jules », boulevard Magenta qui s'avère souvent trop petite pour accueillir le public venant nombreux aux goguettes qu'elle organise chaque début de mois.
- La « Muse Rouge » c'est aussi une « Revue révolutionnaire par les Arts », qui édite régulièrement des recueils sous le titre « Nos chansons ».
- Bizeau va devenir dans les années 1910 un des piliers de la « Muse rouge » ; il devient l'ami de Maurice Doublier, secrétaire de la « Muse Rouge » qui séduit par la qualité littéraire de ses poèmes, l'encourage à poursuivre son travail
Bizeau,
quant à lui se présente, très humblement, en 1914 comme suit :
« Tourangeau
frisé, frisant la trentaine,
Vit
par ses efforts sur le sol natal
Pétrit
ses chansons d'amour et de haine
Et
se trouve fort bien d'avoir tourné mal »
Ce
quatrain révèle plusieurs aspects de Bizeau :
- Sa volonté de rester au pays (il ne va aux goguettes organisées en région parisienne par la « Muse Rouge » que lorsque ses moyens financiers le lui permettent).
- Amour et haine : on retrouve cette ambivalence, trait permanent dans la chanson sociale, anarchiste en particulier.
- Enfin, avec l'expression « se trouve bien d'avoir mal tourné » on note un clin d'oeil à Gaston Couté (« Le gas qu'a mal tourné ») qui fréquentera la Muse rouge de 1901 à 1907 avant de rejoindre la revue « La guerre sociale » de Gustave Hervé.
Nota :
Bizeau qui aimait les poèmes de Couté en fera mettre plusieurs en
musique.
Dans
cette période d'avant-guerre, la « Muse Rouge » est en
plein essor, grâce à l'engouement des travailleurs qui se
reconnaissent dans le discours de la Muse. En effet les poètes
chansonniers dénoncent les injustices sociales et s'en prennent aux
ennemis de la classe ouvrière, comme la bourgeoisie et ses soutiens
(police, église, armée etc.). La Muse exalte la Commune de Paris,
la République sociale, l'internationale des travailleurs,
l'anarchie, la paix. Maurice Doublier l'exprime on ne peut plus
clairement :
« ...Nous
sommes arrivés à une époque où chacun doit nettement prendre
parti. On ne peut être à cheval sur la barricade, prêt à se
laisser glisser au moment opportun du côté le moins dangereux et
dépeindre dans ses œuvres les misères de la classe ouvrière tout
en flirtant avec ses pires ennemis...La chanson ne nous réunira
jamais avec les adversaires de notre classe...Les plus fermes
soutiens du régime capitaliste que nous voulons abattre.... »
Malheureusement
comme on l'a vu plus haut la guerre de 1914/1918 va déstabiliser et
transformer la chanson révolutionnaire, dont la « Muse
Rouge », d'autant que plusieurs de ses membres meurent dans
les tranchées (Léon Israël, Doublier etc.).
Bizeau
saluera en 1916 les morts de la « Muse Rouge »
« Israël,
Doublier...déjà la Muse Rouge
A
payé cher, hélas! l'orgueil des êtres fous...
Quand
le peuple épuisé rentrera dans son bouge,
Combien
auront subi le même sort que vous !
Qui
donc a retenu les chants de nos goguettes ?
Les
cris des révoltés dressant leurs étendards ?..
Pour
guerre de revanche ou guerre de conquête,
Qui
donc est resté sourd à l'appel des soudards ?
Qui
donc cherche à sauver la paix noble et féconde,
La
paix des épis d'or et des fleurs d'oranger ?...
- Par les buveurs de sang qui règnent sur le monde,
- Pourquoi, peuples naïfs, vous laissez-vous piéger ?
B
– Eugène
Bizeau, un homme à contre-courant par ses convictions politiques et
sociales (1914/1945)
a
– Essor et déclin de la chanson révolutionnaire
- A l'approche de 1914, l'arrivée du conflit semble inévitable et divers groupes socialistes, syndicalistes, anarchistes espèrent l'éviter par la grève générale mais l'assassinat de Jean Jaurès porte un coup fatal aux espoirs des défenseurs de la paix, aux pacifistes.
- Bizeau fait partie de ces militants qui pressentent que la guerre qui commence va durer au delà du noël 1914 ; il l'exprime dans son poème « Avant le départ » :
«
Les soldats vont partir vers le champ de bataille
Il
faut leur donner de l’entrain
Oh
le joli discours qu’un officier leur braille
Avant
de monter dans le train
Debout
debout Français ; voilà le jour de gloire
Sous
l’étendard aux trois couleurs
Après
avoir marché de victoire en victoire
Nous
allons venger nos malheurs.
Et
devant l’imposteur qui leur monte la tête
Avec
le trois-six des grands mots
La
boisson perd l’homme et réveille la bête
Etouffe
leurs derniers sanglots.
Et
je songe, en voyant qu’ils s’engouffrent dans l’ombre
Où
pleuvra l’obus meurtrier
Que
peut-être pas un sur cet immense nombre
Ne
reviendra dans son foyer. ».
- La plupart des poètes de la Muse rouge sont mobilisés ; Bizeau quant à lui est réformé en octobre 1914 pour cause de « faiblesse de constitution », lui qui va vivre 106 ans !
Nota :
cette anecdote est à l'origine de dessins de son ami Cabu le
montrant fièrement assis sur le cadavre des généraux des deux
guerres et clamant « je
vous enterrerai tous ! ».
- Mais s'il ne prend pas part au conflit Bizeau ne demeure pas pour autant inactif. A l'inverse de certains qui trahissent (Montehus, Gustave Hervé) en rejoignant le camp des bellicistes, il va continuer de clamer son pacifisme. Ses positions lui vaudront alors une surveillance policière régulière et maintes perquisitions à son domicile.
- Il fait paraître des poèmes clandestinement dans une revue « Le Semeur » qui pour éloigner la censure mentionne un imprimeur à Genève alors qu'en réalité l'éditeur est un de ses amis, typographe, à Tours
- La censure continuera au delà de la guerre et certains de ses poèmes pacifistes ne seront édités qu'en 1922, en particulier un poème virulent, « Leur idéal » en réponse au discours de Clémenceau appelant en 1915, les soldats à « aller jusqu'au bout ! » :
La
mort de tous les instants,
C’est
l’humanité fauchée
Comme
les fleurs du printemps.
C'est
ville et campagne en flammes ;
Et
malgré cela, debout,
Pour...Le
salut de nos âmes,
Il
faut aller « jusqu'au bout ! »...
C'est
après la charge folle
Vers
les canons meurtriers,
L'épouvante
qui racole
Auprès
d'un champ de lauriers.
C'est
la liberté qui saigne ;
Et
malgré cela, debout,
Pour...qu'arrive
enfin son règne,
Il
faut aller « jusqu'au bout ! ».
- La Muse rouge renaîtra au début des années 1920 avec la parution de nombreux textes anti-militaristes, de Bizeau en particulier. Les goguettes mensuelles réapparaissent également jusque dans les années 1930, toujours aussi fréquentées par les ouvriers. Cependant la guerre de 1914/1918 avec toute une génération d'hommes issus de la classe ouvrière, sacrifiée reste un choc brutal atténuant de beaucoup les espoirs en la paix et en la liberté. Le pacifisme en a pris un coup !
- L'événement décisif qui va entraîner la disparition de la « Muse Rouge » est sa rupture avec le Parti communiste français. Si celui-ci a soutenu jusqu'alors les activités de la Muse, ainsi que la SFIO, il tente en 1931, avec la création de la « Fédération du Théâtre Ouvrier de France » (FTOF) de diriger et de contrôler l'expression révolutionnaire (la production et la diffusion des chansons). La Muse rouge refusant d'adhérer à cette organisation, le PCF n'aura de cesse de dénigrer les poètes chansonniers, pratique stalinienne classique des années 1930.
- Les publications cessent en 1934, la librairie et les goguettes perdurent jusqu'en 1939 avec l'arrivée de la deuxième guerre mondiale, celle de 1939/1945.
En
conclusion on peut affirmer que la chanson sociale, libertaire,
(donc pacifiste et anti-militariste) reçoit un coup fatal avec en
l'espace d'une génération deux guerres mondiales. L'après
deuxième guerre mondiale va voir le développement d'une nouvelle
culture de masse dont la musique et la chanson n'échappent pas au
processus de normalisation en cours. La chanson ne prête plus à
débat et n'est plus désormais qu'un objet de consommation comme un
autre. De fait les hommes qui continuent, s'évertuent comme Bizeau
à maintenir vivante la chanson révolutionnaire deviennent des
marginaux, ainsi que les goguettes qui deviennent obsolètes alors
que celles-ci permettaient à chacun de s'exprimer dans l'esprit des
« scènes ouvertes ». Il faudra attendre les années
1980 pour qu'en dehors d'un public restreint de militants, un public
plus large découvre ces poètes-ouvriers chantant pour
l'émancipation humaine.
b
– Marginalisation de Bizeau du fait de ses engagements
contestataires en chansons
- Par ses prises de position tout au long de sa vie, Bizeau ne peut que se marginaliser et devenir une cible pour l'Etat. Comme ses parents et grands parents, il s'engage et s'en trouve stigmatisé, placé dans le camp des « ennemis de la France », les ennemis de l'intérieur !
- La dénonciation de cette situation de pressions et d'oppression qui lui est faite est magnifiquement exprimée dans le poème « Pacifiste » publié en juin 1919, texte d'une brûlante actualité en 2017 :
C'est
un individu suspect à la police...
Donc
il faut enquêter sur ce qu'il pense et dit,
Et
puisqu'il veut la paix, l'amour et la justice
Le
surveiller comme un bandit !
On
va monter la garde autour de sa demeure
Pour
moucharder sa femme et les gens qu'il reçoit,
Et
les jours de chagrin, s'il arrive qu'il pleure,
Découvrir
à propos de quoi...
Les
lettres qu'il attend seront décachetées
Pour
voir ce qu'il suggère à la raison d'autrui,
Et
l'on falsifiera le sens de ses idées
Pour
les retourner contre lui.
On
accumulera les pires calomnies,
On
prêtera l'oreille à mille absurdités,
Et
sans plus de mystères et de cérémonies
On
en fera des « vérités » !
On
jettera l'insulte au coeur de sa détresse
En
disant qu'il émarge aux fonds de l'étranger,
Et
que c'est bien la faute aux gens de son espèce
Si
la patrie est en danger.
On
lui fera sentir comment la guerre assomme
Les
droits les plus sacrés du pauvre citoyen...
Et
cet homme expiera le crime d'être un homme
Quand
la consigne est d'être un chien
Il
dénonce dans ce poème les guerres menées par une République dite
démocratique qui, parce qu'elle tue au nom de ses valeurs
républicaines ne peut être contestée par quiconque se dit
républicain ! La contestation ne peut qu'être criminalisée !
- Un autre poème « A Hélène Brion », institutrice pacifiste condamnée et emprisonnée en 1917 pour « cause de défaitisme » est de la même veine :
« L'iniquité
du jour vous a mise en prison
Avec
des paroles infâmes
Car
il est plus aisé de maltraiter des femmes
Que
de leur démontrer qu'elles n'ont pas raison.
On
n'imagine pas ce que la peur invente :
Pour
le vautour des mauvais soirs,
Vous
étiez la colombe offrant aux aigles noirs
Le
rameau d'olivier qui fait baisser la rente !
Mais
nous avons tiré l'auguste vérité
De
sa bastille étroite et laide ;
Et
vous restez pour nous le verbe pur qui plaide
La
cause de la Vie et de l'Humanité ! »
Toute
la vie de Bizeau est une lutte permanente pour la paix et la justice
sociale :
Pour
les gueux qu'on châtie
Et
dont tout l'horizon
Est
un mur de prison !
Sans
courber les épaules,
Il
faut ouvrir leurs géôles
Et
mettre en liberté
Toute
l'humanité !
- Soutien à Sacco et Vanzetti les deux anarchistes italiens condamnés et exécutés au USA, en 1927 pour un attentat qu'ils n'ont pas commis (réhabilités en 1977).
« Sacco-Vanzetti,
ce sont des victimes,
Ce
sont des martyrs généreux et beaux
Des
êtres sublimes
Qu'il
faut arracher des mornes abîmes
Où
les ont jetés d'infâmes bourreaux,
Sacco-Vanzetti,
ce sont des victimes
Qu'il
faut arracher de leurs noirs tombeaux
- Des poèmes de Bizeau sur la guerre et révolution en Espagne (1936/39) seront retransmis sur Radio-Barcelone durant l'été 1936.
- Il écrit également durant le Front populaire en France et, la Muse rouge ayant cessé ses activités, ses poèmes sont édités dans « le Populaire », l'organe de la SFIO ou dit à la radio dans des émissions animées par la CGT, tels La chanson de Paris :
« La
chanson de Paris c'est la chanson qui vole,
C'est
la rumeur qui gronde avec des cris aigus
Quand
les gueux des faubourgs dansent la carmagnole
Sur
les remparts croulants des oppresseurs vaincus
La
chanson de Paris c'est la chanson humaine
Préparant
l'avenir épris de liberté
- Enfin, vivant avec sa femme Anne et ses deux enfants, Claire et Max dans le Cantal (Massiac) il témoigne également des hauts faits de la Résistance de cette ville en 1944
- Ce sont aussi dans la logique de son combat pacifiste de nombreux poèmes contre l'arme atomique, illustrés par Cabu dans l'album « Guerre à la Guerre »
Le
poème « Lutter » ci-dessous résume la vie et l'oeuvre
du poète vigneron libertaire :
« Lutter,
puisque la vie est une âpre mêlée
Où l’on se bat sans fin contre plus fort que soi,
Et marcher le front haut sous la voûte étoilée
Sans se décourager des coups que l’on reçoit.
Lutter de tout son cœur et de toute son âme,
Sur tous les points du globe, et par tous les moyens,
Contre la renaissance et le retour de flamme
De ce qui reste en nous de préjugés anciens.
Lutter contre la peur, contre la maladie,
Contre la profondeur de l’égoïsme humain,
Contre la pauvreté d’un peuple qui mendie,
Contre le désespoir, la misère et la faim.
Lutter contre le joug des maîtres de la terre
Masquant leur dictature en tapageurs discours ;
Contre les trublions, les criminels de guerre,
Aigles noirs de haut vol et répugnants vautours…
Lutter contre les fous qui jouent à pigeon vole
En jetant vers le ciel d’affreux engins de mort…
Et, sans cesse assoiffés de gloire et d’auréoles,
Enchaînant l’avenir au culte du veau d’or.
Lutter pour le succès des causes généreuses,
Pour l’idéal de paix dont on a la fierté,
Pour le destin meilleur des plèbes douloureuses,
Pour le bonheur du monde et pour la liberté.
Où l’on se bat sans fin contre plus fort que soi,
Et marcher le front haut sous la voûte étoilée
Sans se décourager des coups que l’on reçoit.
Lutter de tout son cœur et de toute son âme,
Sur tous les points du globe, et par tous les moyens,
Contre la renaissance et le retour de flamme
De ce qui reste en nous de préjugés anciens.
Lutter contre la peur, contre la maladie,
Contre la profondeur de l’égoïsme humain,
Contre la pauvreté d’un peuple qui mendie,
Contre le désespoir, la misère et la faim.
Lutter contre le joug des maîtres de la terre
Masquant leur dictature en tapageurs discours ;
Contre les trublions, les criminels de guerre,
Aigles noirs de haut vol et répugnants vautours…
Lutter contre les fous qui jouent à pigeon vole
En jetant vers le ciel d’affreux engins de mort…
Et, sans cesse assoiffés de gloire et d’auréoles,
Enchaînant l’avenir au culte du veau d’or.
Lutter pour le succès des causes généreuses,
Pour l’idéal de paix dont on a la fierté,
Pour le destin meilleur des plèbes douloureuses,
Pour le bonheur du monde et pour la liberté.
Lutter
jusqu’à la fin du rève ou du poème
Qui soutient notre cœur et l’enflamme en secret…
Et quant on n’est plus rien que l’ombre de soi même,
Sourire à la jeunesse et partir sans regret ! ».
Qui soutient notre cœur et l’enflamme en secret…
Et quant on n’est plus rien que l’ombre de soi même,
Sourire à la jeunesse et partir sans regret ! ».
Anne
Adélaïde Chambonnière, institutrice syndicaliste, libertaire,
pacifiste et féministe (1882 - 1973)
Si
la mémoire collective a retenu le nom d'Eugène Bizeau, poète,
anarchiste, pacifiste, anticlérical, vigneron, le nom de sa
compagne, Anne Bizeau mérite d'être honoré à plus d'un titre.
Adélaïde,
Anne Chambonnière est née le 22 mars 1882, à Trémouille, petit
village du Cantal. Après avoir suivi ses études en École primaire
supérieure et brillamment obtenu le brevet supérieur, elle devient
institutrice à Menet (Cantal).
Anne
Bizeau (à droite), dans la cour de l'école maternelle
Le
syndicalisme étant interdit aux fonctionnaires, comme la plupart des
institutrices et instituteurs, Anne fait partie d'une Amicale et
devient en décembre 1912, secrétaire-adjointe de «
l'Amicale des membres de l'enseignement primaire public du Cantal ».
Ces
Amicales sont placées sous la coupe des Inspecteurs d'Académie.
De
leur côté de nombreux instituteurs aspirent à leur autonomie et
combattent pour une vraie syndicalisation liée au mouvement ouvrier.
Anne
Chambonnière, avec d'autres instituteurs, se reconnaît dans le
« Manifeste
des Instituteurs Syndicalistes »
(1905) qui revendique l'indépendance du corps enseignant par rapport
à l'État représenté par les Inspecteurs Académie :
« Le
corps des instituteurs a besoin de toute son autonomie […] qui ne
peut être réalisée que par la constitution en syndicats des
associations professionnelles d'instituteurs […] décidés à se
substituer à l'autorité administrative impuissante devant les
ingérences politiques […]. Les instituteurs réclament le droit de
se constituer en syndicats et d’entrer dans les bourses du travail.
Ils veulent appartenir à la Confédération Générale du Travail.
Par leurs origines, par la simplicité de leur vie, les instituteurs
appartiennent au peuple. »
Tout
en étant par « obligation
professionnelle »
tenue de rester dans l'Amicale, Anne va adhérer, après le Congrès
de Nantes (mars 1907), à la « Fédération
Nationale des Instituteurs et Institutrices à la CGT »
qui deviendra en 1915 le « Syndicat
des instituteurs »
faisant paraître dans le Cantal la revue « L'émancipateur ».
En
effet, après la loi du 21 mars 1884, des syndicats professionnels
ont pu se constituer, se développer et s'organiser au sein des
premières fédérations nationales de métiers, affirmant leur
autonomie en se démarquant des politiques.
En
1892 est créée la Fédération nationale des Bourses du Travail
dont Fernand Pelloutier est élu secrétaire-adjoint et en septembre
1895, se tient à Limoges le congrès qui voit naître la vieille
C.G.T.
Beaucoup
d'instituteurs et institutrices vont se reconnaître dans ce
syndicat, alors révolutionnaire. Ils seront nombreux à quitter
progressivement les Amicales pour rejoindre la C.G.T.
De
plus, depuis longtemps, parallèlement à l'action syndicale, Anne
s'investit dans le combat féministe. Elle fonde le « Groupe
féministe cantalien »
dont elle sera la secrétaire durant de nombreuses années, en
particulier durant la guerre de 14 – 18, où ce groupe prendra des
positions solidaires envers les institutrices réprimées pour
dénonciation de l'état de guerre et pour leurs appels à la paix.
En
1916, son parcours de féministe et de pacifiste se radicalise,
influencé en partie par sa rencontre et son mariage avec Eugène
Bizeau dont elle partage les idées. Le couple aura deux enfants, Max
et Claire.
Le
couple s'installe à Massiac dans le Nord Cantal, où elle est
directrice de l'école maternelle. Il faut souligner que l’Inspection
d’Académie a refusé sa demande de mutation et l’a nommée
d’office à Massiac en raison de ses combats syndicalistes et
pacifistes.
En
juillet 1917, dans une France en guerre depuis trois ans, la chasse
aux instituteurs pacifistes ouverte depuis des mois, s'intensifie à
coup de poursuites judiciaires et de révocations.
Anne
Bizeau, au sein de l'Amicale, comme dans le syndicat, mène
inlassablement des campagnes de solidarité en faveur des enseignants
poursuivis, condamnés et révoqués pour délit d'opinion,
défaitisme, comme par exemple les époux MAYOUX.
Ceux-ci,
instituteurs pacifistes ont eut le tord de faire paraître une petite
brochure intitulée : « Les
instituteurs syndicalistes et la guerre »
ce qui leur a valu d'être suspendus de leurs fonctions.
Fin
juillet 1917, Marie et François Mayoux sont perquisitionnés, un
stock de leur brochure est saisi avec d'autres imprimés pacifistes.
Immédiatement
Anne réagit dans un article du journal de l'Amicale : « Le
Conseil d'administration de l'Amicale, considérant que les camarades
Mayoux ont été révoqués pour délit d'opinion demande l'amnistie
et la réintégration dans l'enseignement. »
Elle
interpelle également ses collègues, réclamant leur devoir de
solidarité, ce qui est le fondement même du syndicalisme :
« ...Nous
ne comprendrions pas que de futurs syndiqués se refusent à défendre
nos militants syndicalistes... ».
À
la même période, elle va mobiliser les Amicales et les syndicats du
Cantal pour défendre d'autres instituteurs réprimés pour avoir
exprimé leur pacifisme, comme Gabrielle Bouet ou Hélène Brion.
Cette
dernière, institutrice, porte-parole du courant pacifiste au sein de
la C.G.T, est empêchée par la police de se rendre à la conférence
de Zimmerwald (1915).
Son
domicile est perquisitionné en juillet 1917. Elle est suspendue sans
traitement avant d'être arrêtée en novembre pour « propagande
défaitiste »
et incarcérée dans la prison des femmes de Saint-Lazare.
Eugène
Bizeau, lui consacrera un poème intitulé « A Hélène
BRION »:
Vous
disiez avec foi : « La guerre est un fléau »
Désarmons
la rancœur humaine
Au
lieu d'entretenir le culte de la haine
Donnons
à la jeunesse un idéal plus beau...
En
1919, Anne BIZEAU impulsera la création du syndicat départemental
de l'enseignement dont elle assurera le secrétariat de 1919 à 1924.
Elle
écrit des articles dans « L'Emancipateur »,
bulletin trimestriel du syndicat des membres de l'enseignement public
du Cantal, ainsi que dans le bulletin de l'Union Départementale
C.G.T qui, à cette époque, s'appelle « Le
Réveil Syndical ».
C’est
en décembre 1919 qu’elle signe un appel important en vue du
développement de la syndicalisation des enseignants :
« Camarades,
à nous, à tous ceux qui ont la vaillance d'affirmer des idées
neuves, d'affronter la tradition, de tenir bon contre toutes les
réactions coalisées, contre toutes les forces d'oppression et
d'exploitation. Tous debout pour la défense de l'Ecole et pour une
organisation sociale plus moderne et plus juste ».
Anne
s’intéresse aussi, plus particulièrement, à la dénonciation des
livres scolaires qui
prônent
le nationalisme et le patriotisme.
.
Anne
Bizeau (à droite), dans la cour de l'école maternelle de Massiac
Anne
n'avait pas attendu de rencontrer son compagnon Eugène pour
s'adonner à la poésie.
Après
un premier recueil, « Les
ailes de soie »,
elle fait paraître un deuxième livre « Souvenance »,
préfacé par Paul Guth, qui la surnomme la « Fée
d'Auvergne ».
Dans
ce livre, elle se souvient de son frère, mort à la guerre en 1917,
et crie son antimilitarisme dans Le
temps des folies
(extrait) :
Ils
attendaient qu'on les désarme
Ces
enfants de leur chair meurtrie,
On
les coucha dans la prairie,
Ah
! Maudit soit le temps des armes...
Même
opposition à la guerre, dans le poème Ils
sont tombés
(extrait) :
Ils
sont tombés comme les blés
Les
gars si fiers de leurs vingt ans
Ils
sont tombés comme les blés
Sans
avoir mangé leur pain blanc !
Ils
sont tombés comme des fruits,
Des
fruits amers en leur verdeur,
Ils
sont tombés comme des fruits,
Sans
épuiser tous les bonheurs... »
Ou
encore, Automne
1914
(extrait) :
Les
hommes tombent follement
Dans
le vent qui souffle en rafales
C'est
la chanson des noirs autans
Les
balles sifflent sur les dalles
Sifflent,
mortelles dans le vent
Les
hommes tombent follement.
Avec
Eugène, elle aura partagé de nombreux combats émancipateurs.
Tous
deux ont été également des passionnés de poésie durant toute
leur vie, et le virus aura été transmis à leur fils Max qui a
édité trois recueils de poèmes et un livre « Au
nom d'un fils »,
avec des dessins de Cabu, qui illustra également les recueils
d’Eugène :
« Verrues sociales »,
« croquis de la rue »
et « Guerre
à la guerre ».
À
la fin de la première guerre mondiale, le couple Bizeau,
infatigable, participe au combat pour les amnisties des réfractaires
à la guerre, avec les syndicalistes et les révolutionnaires.
Tous
deux soutiennent le combat pour la réhabilitation des fusillés pour
l'exemple.
Eugène
écrit, entre autres, ce poème « Amnistie »
paru dans « Le Libertaire » en septembre 1919
(extrait) :
Amnistie !
Amnistie aux soldats en révolte
Contre
l'autorité brutale et désinvolte
Qui
leur mit sur le corps des guenilles sans nom
Pour
qu'ils soient « jusqu'au bout » de la chair à canon !
Amnistie !
Amnistie à tous les réfractaires
Qui
n'ont pas accepté les jougs héréditaires
Et
qui n'ont pas servi, comme des instruments
Les
projets monstrueux de leurs gouvernements !
Amnistie
! Amnistie !
Pour
les gueux qu'on châtie
Et
dont tout l'horizon
Est
un mur de prison !
Sans
courber les épaules,
Il
faut ouvrir leurs géôles
Et
mettre en liberté
Toute
l'humanité !
Anne
et Eugène BIZEAU, leurs enfants Max et Claire et la grand mère
paternelle à Massiac en 1926
Site DRAPEAU ROUGE : chansons révolutionnaires paroles et accompagnement musical
et autre site
http://vrevolution.free.fr/chansonsanarchistes.htm
La Commune est en lutteIl y avait la guerre Et nous avions vingt ans L’hiver de 70 fut hiver de souffrance Et pire est la misère En ce nouveau printemps... Les lilas vont fleurir les hauteurs de Belleville Les versants de la Butte Et le Bois de Meudon... Nous irons les cueillir en des temps plus faciles...
La Commune est en lutte Et demain, nous vaincrons... "Les Versaillais infâmes Approchent de Paris..." Tu m’as dit : "Avec toi, je vais aux barricades La place d’une femme Est près de son mari..." Quand le premier de nous est tombé sur les pierres En dernière culbute Une balle en plein front Sur lui, tu t’es penchée pour fermer ses paupières...
Et demain, nous vaincrons... Malheur à qui nous vole En nous avilissant... Nous voulons le respect et de justes salaires Et le seuil des écoles Ouvert à nos enfants... Nos parents ne savaient ni lire ni écrire On les traitait de brutes Ils acceptaient l’affront... L’Égalité, la vraie, est à qui la désire...
Et demain, nous vaincrons... Il a fallu nous rendre On va nous fusiller Mais notre cri d’espoir qui va jaillir de l’ombre Le monde va l’entendre Et ne plus l’oublier... Soldats, obéissez aux ordres de vos maîtres Que l’on nous exécute En nous visant au cœur De notre sang versé, la Liberté va naître...
Et nous sommes vainqueurs... |
paroles : Jean-Roger Caussimon (1918-1985).
Musique : Philippe Sarde.
Chanson composée pour la bande originale du film de Bertrand Tavernier "Le Juge et l'Assassin".
Chanson composée pour la bande originale du film de Bertrand Tavernier "Le Juge et l'Assassin".
LA BUTTE ROUGE
Montéhus, 1923
1
Sur c'te butt'là y'avait pas d'gigolettes,
Pas de marlous, ni de beaux muscadins ;
Ah ! C'était loin du Moulin d'la galette
Et de Panam', qu'est le roi des pat'lins.
C'quelle en a bu du beau sang, cette terre !
Sang d'ouvriers et sang d'paysans,
Car les bandits qui sont cause des guerres
N'en meur'nt jamais, on n'tue qu'les innocents !
Refrain
La Butt' Rouge c'est son nom, l'baptêm' s'fit un matin
Où tous ceux qui montaient roulaient dans le ravin ...
Aujourd'hui y a des vign's, il y pousse du raisin
Qui boira ce vin là, boira l'sang des copains !
2
Sur c'te butt'-là on n'y f'sait pas la noce
Comme à Montmartre où l'champagne coul' à flots ;
Mais les pauvr's gars qu'avaient laissé des gosses
Y f'saient entendr' de terribles sanglots !
C'quelle en a bu des larmes , cette terre,
Larmes d'ouvriers, larmes de paysans,
Car les bandits qui sont cause des guerres
Ne pleur'nt jamais, car ce sont des tyrans !
Refrain
La Butt' Rouge c'est son nom, l'baptêm' s'fit un matin
Où tous ceux qui montaient roulaient dans le ravin ...
Aujourd'hui y a des vign's, il y pousse du raisin
Qui boit de ce vin là, boit les larmes des copains !
3
Sur c'te butt'-là on y r'fait des vendages,
On y entend des cris et des chansons ;
Filles et gars doucement y échangent
Des mots d'amour qui donnent le frisson.
Peuv'nt-ils songer dans leurs folles étreintes,
Qu'à cet endroit, où s'échang'nt leurs baisers,
J'ai entendu, la nuit, monter des plaintes
Et j'y ai vu des gars au crân' brisé !
Refrain
La Butt' Rouge c'est son nom, l'baptêm' s'fit un matin
Où tous ceux qui montaient roulaient dans le ravin ...
Aujourd'hui y a des vign's, il y pousse du raisin
Mais, moi, j'y vois des croix portant l'nom des copains !
Aristide Bruant, 1894
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or.
Nous en tissons pour vous, grands de l'église
Et nous, pauvres canuts, n'avons pas de chemise
C'est nous les canuts,
Nous sommes tout nus.
Pour gouverner, il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir.
Nous en tissons pour vous, grands de la terre,
Et nous pauvres canuts, sans drap on nous enterre
C'est nous les canuts,
Nous sommes tout nus.
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la tempête qui gronde.
C'est nous les canuts,
Nous sommes tout nus.
Eugène Pottier, 1886
A coup de mitrailleuses,
Et roulée avec son drapeau
Dans la terre argileuse.
Et la tourbe des bourreaux gras
Se croyait la plus forte
Tout ça n'empêche pas Nicholas
Qu'la commune n'est pas morte ! bis
Comme faucheurs rasant un pré,
Comme on abat des pommes,
Les Versaillais ont massacré
Pour le moins cent mille hommes.
Et les cent mille assassinats
Voyez c'que ça rapporte.
Tout ça n'empêche pas Nicholas
Qu'la commune n'est pas morte ! bis
Ils ont fait acte de bandits
Comptant sur le silence,
Ach'vé les blessés dans leur lit,
Dans leurs lits d'ambulance.
Et le sang inondant les draps
Ruisselait sous la porte.
Tout ça n'empêche pas Nicholas
Qu'la commune n'est pas morte ! bis
Les journalistes policiers
Marchands de calomnies
Ont répandu sur nos charniers
Leurs flots d'ignominie.
Les Maxim' Ducamps, les Dumas,
Ont vomi leur eau-forte.
Tout ça n'empêche pas Nicholas
Qu'la commune n'est pas morte ! bis
C'est la hache de Damoclès
Qui plane sur leurs têtes.
A l'enterrement de Vallès
Ils en étaient tout bêtes.
Fait est qu'on était un fier tas
A lui servir d'escorte !
C'qui prouve en tout cas Nicholas
Qu'la commune n'est pas morte ! bis
Bref, tout ça prouve aux combattants
Qu'Marianne a la peau brune,
Du chien dans l'ventre et qu'il est temps
D'crier "Vive la Commune ! "
Et ça prouve à tous les Judas
Qu'ci ça marche de la sorte,
Ils sentiront dans peu, nom de Dieu !
Pour télécharger :
Passez, passez, heures, journées !
Que l'herbe pousse sur les morts !
Tombez, choses à peine nées ;
Vaisseaux, éloignez-vous des ports ;
Passez, passez, ô nuits profondes.
Emiettez-vous, ô vieux monts ;
Des cachots, des tombes, des ondes.
Proscrits ou morts nous reviendrons.
Nous reviendrons, foule sans nombre ;
Nous reviendrons par tous les chemins,
Spectres vengeurs sortant de l'ombre.
Nous viendrons, nous serrant les mains,
Les uns dans les pâles suaires,
Les autres encore sanglants,
Pâles, sous les rouges bannières,
Les trous des balles dans leur flanc.
Tout est fini ! Les forts, les braves,
Tous sont tombés, ô mes amis,
Et déjà rampent les esclaves,
Les traîtres et les avilis.
Hier, je vous voyais, mes frères,
Fils du peuple victorieux,
Fiers et vaillants comme nos pères,
Aller, la Marseillaise aux yeux.
Frères, dans la lutte géante,
J'aimais votre courage ardent,
La mitraille rouge et tonnante,
Les bannières flottant au vent.
Sur les flots, par la grande houle,
Il est beau de tenter le sort ;
Le but, c'est de sauver la foule,
La récompense, c'est la mort.
Vieillards sinistres et débiles,
Puisqu'il vous faut tout notre sang,
Versez-en les ondes fertiles,
Buvez tous au rouge océan ;
Et nous, dans nos rouges bannières,
Enveloppons-nous pour mourir ;
Ensemble, dans ces beaux suaires,
On serait bien là pour dormir.
-> louise Michel
"à mes frères"
poème de Stig Dagerman
"Un frère de plus
Tu ne peux refaire le monde.
Calme ton âme violente !
Une seule chose tu peux faire :
A un nouvel être humain, du bien.
Mais cela est déjà tant
Que les étoiles elles-mêmes sourient.
Un homme affamé de moins
Est aussi un frère de plus."
Il était né le 5 octobre 1923 à Älvkarleby, il se suicidera le 4 novembre 1954 à Enebyberg. Entre ces deux dates le drame de l’abandon à sa naissance, et l’abandon des idéaux par ses contemporains. Proche du mouvement anarcho-syndicaliste, il se voudra militant, puis témoin et en vivra la faillite. Anarchiste, il le fut viscéralement.
Un idéal
Un idéal, c'est grand, c'est beau,
Cà nous arrache de la terre
De ses soucis, de ses lourdeurs,
Nous aide à vaincre la misère,
Nos insuffisances, nos peurs,
Cà porte aux nues, comme un oiseau.
Un idéal, c'est un moteur
Qui nous propulse au quotidien
A la rencontre de nos rêves,
Un grand soleil, un petit rien,
Pour nous bercer dans quelques brèves
échappées de vrai bonheur.
N'essayons pas de l'incarner
Dans un être à nous semblable
Ou opposé, dans une idée
Ou dans un dieu, petite fable
Hors de mesure d'avidité...
Le définir, c'est l'enchaîner.
Madeleine Geneste
Libre penseuse, Corrèze
Dans mon école
Il n'y a pas de dieux, ni de diables,
Mais des enfants, assis aux tables
Où ils écrivent leurs avenirs.
Présent, futur et souvenirs
Forgent l'accord de leur pensée
Avec la vie. L'action, l'idée,
Sont réunies au quotidien.
Le mot est juste – ni mal, ni bien.
L' « autre » est voisin, ami, semblable,
Le même livre dans le cartable
Si l'enveloppe est différente, la religion
N'est apparente qu'à la maison.
On apprend à ouvrir les yeux, et les oreilles,
Exprimer ses idées, non rabâcher, les vieilles;
On se fait raisonnable, dans l'imagination.
On pense genre humain, et non patrie, nation,
On respecte la terre, tout ce qui peut y vivre,
Mais on combat toujours, pour pouvoir être libre
Dans mon école
Madeleine Geneste
Libre penseuse, Corrèze
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