Poèsie pacifiste

Quelle connerie, la guerre...


« Ta robe bouge dans le vent, voilà le seul drapeau que j'aime »
Garous Abdolmalekian (1980-) poète iranien

« ...Mon général, on peut tirer beaucoup de l'homme.
Il sait voler, il sait tuer.
Mais il a un défaut : il sait penser »
Bertolt Brecht (1898 – 1956) poète allemand - poème « Il peut voler »

« ...La paix est un verre de lait chaud et un livre posés devant l'enfant qui s'éveille... »
Yannis Ritsos, poète grec (1909-1990) - extrait du poème « Paix »

« ...Ciselez, amis, de pierre et de songe au milieu de l'Alhambra un tombeau pour le poète ! Qu'une fontaine y pleure son eau et dise éternellement : le crime eut lieu à Grenade, dans sa Grenade »
Antonio Machado (1875 – 1939), poète espagnol - extrait du poème « Mort de Federico »

« Cla, cla, cla, cla, cla...Ton bruit sinistre, mitrailleuse, squelette ccomptant ses doigts sur ses dents »
Julien Vocance (1878 – 1954)

« ...De Vailly à Craonne,
le chemin des Dames
est pavé de crânes.
Ils étaient six dans la cave.
On sait qu'ils y sont encore.
Mais où est la cave ? »
René Druart (1888 – 1961) – Extraits de haïkus
« ...Regardez ce missile comme il est beau.
Sans salir vos mains
en une seconde il anéantit
un village
en deux secondes une ville... »
Maram al-Masri (1962 -) poète syrienne – extrait du poème « Quand parlent les armes »

« ...Ils sont venus
civilisation
bibles sous le bras
fusils en mains
les morts se sont entassés... »
François Sengat-Kuo (1931 – 1997) – poète camérounais – extrait du poème « ils sont venus »

La guerre, folle immense, hideuse (Victor Hugo)

Ouvrière sans yeux,Pénélope imbécile,
Berçeuse du chaos où le néant oscille,
Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons,
Toute pleine du bruit furieux des clairons,
Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie,
Hideuse, entraîne l’homme en cette ivrognerie...
Folle immense, de vent et de foudre armée,
A quoi sers-tu, géante, à quoi sers-tu fumée,
Si tes écroulements reconstruisent le mal,
Si pour le bestial tu chasses l’animal,
Si tu ne sais, dans l’ombre où ton hasard se vautre,
Défaire un empereur que pour en faire un autre.
(Victor Hugo, L’année terrible, 1872)


L’Evadé (Le temps de vivre, Boris Vian)

Il a dévalé la colline
Ses pas faisaient rouler les pierres
Là-haut entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie
*
Il respirait l’odeur des arbres
Avec son corps comme une forge
La lumière l’accompagnait
Et lui faisait danser son ombre
*
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il sautait à travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil
*
Les canons d’acier bleu crachaient
De courtes flammes de feu sec
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l’eau
*
Il y a plongé son visage
Il riait de joie il a bu
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il s’est relevé pour sauter
*
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L’a foudroyé sur l’autre rive
Le sang et l’eau se sont mêlés
*
Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil
*
Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de rire aux assassins
Le temps de courir vers la femme
*
Il avait eu le temps de vivre.

A tous les enfants (poème antimilitariste de Boris Vian)

A tous les enfants qui sont partis le sac à dos
Par un brumeux matin d’avril
Je voudrais faire un monument
A tous les enfants
Qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton
Ni de bronze qui devient vert
Sous la morsure aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé,
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus
Soudain griffé d’un coup de feu
Un monde neuf où sur un corps
qui va tomber
.
Grandit une tache de sang
Mais à tous ceux qui sont restés
Les pieds au chaud, sous leur bureau
En calculant le rendement
De la guerre qu’ils ont voulue
A tous les gras tous les cocus
Qui ventripotent dans la vie
Et comptent et comptent leurs écus
A tous ceux-là je dresserai
Le monument qui leur convient
Avec la schlague, avec le fouet
Avec mes pieds avec mes poings
Avec des mots qui colleront
Sur leurs faux-plis sur leurs bajoues
Des larmes de honte et de boue.

La mère fait du tricot Le fils fait la guerre (Prévert)

La mère fait du tricot
Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?
Il fait des affaires
Sa femme fait du tricot
Son fils la guerre
Lui des affaires
Il trouve ça tout naturel le père
Et le fils et le fils
Qu’est-ce qu’il trouve le fils ?
Il ne trouve rien absolument rien le fils
Le fils sa mère fait du tricot son père fait des affaires lui la guerre
Quand il aura fini la guerre
Il fera des affaires avec son père
La guerre continue la mère continue elle tricote
Le père continue il fait des affaires
Le fils est tué il ne continue plus
Le père et la mère vont au cimetière
Ils trouvent ça naturel le père et la mère
La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires
Les affaires la guerre le tricot la guerre
Les affaires les affaires et les affaires
La vie avec le cimetière.
Jacques Prévert, Paroles

Le lion de Waterloo (Victor Hugo, L’Année terrible)

J’allai voir le lion de Waterloo. Je vins
Jusqu’à la sombre plaine à travers les ravins...
J’arrivai jusqu’à lui, pas à pas m’approchant...
J’attendais une foudre et j’entendis un chant.
Une humble voix sortait de cette bouche énorme.
Dans cette espèce d’antre effroyable et difforme.
Un rouge-gorge était venu faire son nid ;
Le doux passant ailé que le printemps bénit,
Sans peur dans la mâchoire affreusement levée,
Entre ces dents d’airain avait mis sa couvée ;
Et l’oiseau gazouillait dans le lion pensif.
Le mont tragique était debout comme un récif
Dans la plaine jadis de tant de sang vermeille ;
Et comme je songeais, pâle et prêtant l’oreille,
Je sentis un esprit profond me visiter,
Et, peuples, je compris que j’entendais chanter
L’espoir dans ce qui fut le désespoir naguère,
Et la paix dans la gueule horrible de la guerre.

"La guerre et ce qui s’ensuivit"  poème d’Aragon

Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le coeur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille
**********
Qu’un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux
**********
Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur
**********
Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous faite de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
**********
Vous étirez vos bras vous retrouvez le jour
Arrêt brusque et quelqu’un crie Au jus là-dedans
Vous baillez Vous avez une bouche et des dents
Et le caporal chante Au pont de Minaucourt
**********
Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri.


Marchez, frappez, tuez et mourrez, bêtes brutes (Victor Hugo dans Le Pape)

Mais quel est donc le bras qui tend cet arc affreux ?
Pourquoi ces hommes-ci s’égorgent-ils entr’eux ?
Quoi ! peuple contre peuple ! ô nations trompées !
De quel droit avez-vous les mains pleines d’épées ?
Que faites-vous ici ? Qu’est-ce que ces pavois ?
Que veulent ces canons ? Hommes que j’entrevois,
Dans l’assourdissement des trompettes farouches,
Plus forts que des lions et plus vains que des mouches,
Pour le plaisir de qui vous exterminez-vous ?
Tous n’avez qu’un seul droit, c’est de vous aimer tous...
Aimez-vous. Les palais doivent la paix aux chaumes.
O rois, des deux côtés vous voyez des royaumes,
Des fleuves, des cités, la terre à partager,
Des droits pareils aux loups cherchant à se manger,
Des trônes se gênant, les clairons, les chimères,
La gloire ; et moi je vois des deux côtés des mères.
Je vois des deux côtés des cœurs désespérés.
Je vois l’écrasement des sillons et des prés,
La lumière à des yeux pleins d’aurore ravie,
Le deuil, l’ombre, et la fuite affreuse de la vie.
Je vois les nations que la mort joue aux dés...
C’est parce que deux rois, deux spectres, deux vampires,
Parce que deux néants s’arrachent deux empires,
Parce que l’un, ce jeune, et l’autre, ce vieillard,
Semblent grands à travers on ne sait ruel .brouillard,
Étant, le jeune, un fou, le vieux, un imbécile,
C’est parce qu’un vain sceptre entre leurs mains oscille
A tous les tremblements du vice et de l’erreur,
C’est parce que ces deux atomes en fureur
S’insultent, qu’on entend, ô triste foule humaine,
O peuples, sans savoir pourquoi, dans cette plaine
Votre stupidité formidable rugir !
Vous êtes des pantins que des fils font agir ;
On vous met dans la main une lame pointue,
Vous ne connaissez pas celui pour qui l’on tue,
Vous ne connaissez pas celui que vous tuerez.
Est-ce vous qui tuerez ? est-ce vous qui mourrez ?
Vous l’ignorez. Demain, la mort ouvrant son aile,
Vous entrerez dans l’ombre en foule, pêle-mêle,
Sans que vous puissiez dire au sépulcre pourquoi.
Oui, du moment que c’est décrété par un roi,
Par un czar, un porteur quelconque de couronne,
Sans rien comprendre au bruit menteur qui l’environne,
A tâtons, sans Savoir si l’on est un bandit,
On n’écoute plus rien ; battez, tambours, c’est dit ;
Vite, il faut qu’on se heurte, il faut qu’on se rencontre,
Qu’un aveugle soit pour parce qu’un sourd est contre !
Vous mourez pour vos rois. Eux, ils ne sont pas là.
Et vous avez quitté vos femmes pour cela !...
Vous jeunes, vous nombreux et forts, malgré leurs larmes,
Vous vous êtes laissés pousser par des gendarmes
Aux casernes ainsi qu’un troupeau par des chiens !
En guerre ! allez, Prussiens ! allez, Autrichiens !
Ici la schlague, et là le knout. Lauriers, victoire.
A grands coups de bâton on vous mène à la gloire.
Vous donnez votre force inepte à vos bourreaux
Les rois, comme en avant du chiffre les zéros.
Marchez, frappez, tuez et mourez, bêtes brutes !
Et vos maîtres, pendant vos exécrables luttes,
Boivent, mangent, sont gais et hautains ; et, contents,
Repus, ont autour d’eux leurs crimes bien portants ;
Vous allez être un tas de cadavres dans l’herbe,
Laissant derrière vous, sous le soleil superbe
Et sous l’étonnement des cieux, de vieux parents,
Et dans des berceaux, plaints par les nids murmurants,
O douleur, des petits aux regards de colombe ! ―
Eh bien non ! je me mets entre vous et la tombe.
Je ne veux pas ! Tremblez, c’est moi. Je vous défends
De vous assassiner, monstres ! ― ô mes enfants ! ―
Jetez-vous dans les bras les uns des autres, frères !...
Vous êtes les vaincus des rois, et sur le dos
Vous portez leur grandeur, leur néant, ces fardeaux ;
L’ombre des rois vous suit, vous tient, vous accompagne ;
Vous êtes des traîneurs de boulet comme au bagne ;
L’orgueil, leur garde-chiourme, est à votre côté ;
Vous avez cette honte au pied, leur majesté !
Débarrassez-vous-en, brisez-moi cette chaîne !
Sortez des quatre murs sanglants de la géhenne,
Ignorance, colère, orgueil, mensonge, à bas !
Hommes, entendez-vous. Vivez. Plus de combats.
Non, la terre d’horreur ne sera pas noyée.
Vous êtes l’innocence imbécile employée
Aux forfaits, et les bras utiles devenus
Scélérats, et je suis celui qui vient pieds nus
Vous supplier, lions, tigres, d’être des hommes.
Il est temps de laisser cette terre où nous sommes
Tranquille, et de permettre aux fleurs, aux blés épais,
Aux vignes, aux vergers bénis, de croître en paix ;
Il est temps que l’azur brille sur autre chose
Que de la haine, et l’aube est souriante et rose
Pour que nous soyons doux comme elle. Obéissons
A la vie, à l’aurore, aux berceaux, aux moissons.
Ne sacrifions pas le monde à quelques hommes.
Soyez de votre sang vénérable économes.


Le cheval orphelin et la guerre (Texte "Histoire du cheval" de Jacques Prévert)

Braves gens écoutez ma complainte
Écoutez l’histoire de ma vie
C’est un orphelin qui vous parle
Qui vous raconte ses petits ennuis
Hue donc...
*****
Un jour un général
Ou bien c’était une nuit
Un général eu donc
Deux chevaux tués sous lui.
Ces deux chevaux c’étaient
Hue donc...
*****
Que la vie est amère
C’étaient mon pauvre père
Et puis ma pauvre mère
Qui c’étaient cachés sous le lit
Sous le lit du général qui
Qui s’était caché à l’arrière
Dans une petite ville du Midi.
Le général parlait
Parlait tout seul la nuit
Parlait en général de ses petits ennuis
Et c’est comme ça que mon père
Et c’est comme ça que ma mère
Hue donc...
*****
Une nuit donc morts d’ennui.
Pour moi la vie de famille était déjà finie
Sortant de la table de nuit
Au grand galop je m’enfuis
Je m’enfuis vers la grande ville
Où tout brille et tout luit
En moto j’arrive à Sabi en Paro
Excusez moi je parle cheval
Un matin j’arrive à Paris en sabots
Je demande à voir le lion
Le roi des animaux
Je reçois un coup de brancard
Sur le coin du naseau
Car il y avait la guerre
La guerre qui continuait
On me colle des oeillères
Me v’là mobilisé
Et comme il y avait la guerre
La guerre qui continuait
La vie devenait chère
Les vivres diminuaient
Et plus il diminuaient
Plus les gens me regardaient
Avec un drôle de regard
Et les dents qui claquaient.
Ils m’appelaient beefsteak
Je croyais que c’était de l’anglais
Hue donc...
*****
Tous ceux qu’étaient vivants
Et qui me caressaient
Attendaient que j’sois mort
Pour pouvoir me bouffer.
Une nuit dans l’écurie
Une nuit où je dormais
J’entends un drôle de bruit
Une voix que je connais
C’était le vieux général
Le vieux général qui revenait
Qui revenait comme un revenant
Avec un vieux commandant
Et ils croyaient que je dormais
Et ils parlaient très doucement.
Assez assez de riz à l’eau
Nous voulons manger de l’animau
*****
Y’a qu’à lui mettre dans son avoine
Des aiguilles de phono.
Alors mon sang ne fit qu’un tour
Comme un tour de chevaux de bois
Et sortant de l’écurie
Je m’enfuis dans les bois.
*****
Maintenant la guerre est finie
Et le vieux général est mort
Est mort dans son lit
Mort de sa belle mort
Mais moi je suis vivant et c’est le principal
Bonsoir
Bonne nuit
Bon appétit mon général

Maudis les corbeaux de malheur qui chantaient la guerre

Un vieil homme pleure dans sa vigne.
Il avait deux gars. - Ils sont morts,
Morts à vingt ans et de la guerre
Plus de joie pour lui seul l’esseulé ...
*****
Vide le nid et ses petits tués
Pendant le temps qu’il répétait
Tous ces mots creux mais bien sonores :
Gloire, tenacité et autres fariboles.
*****
C’est ton tourment, ces mots impies
Que des bavards perchés au loin
T’avaient soufflés
C’est du poison dans ton vieux coeur.
*****
Tes gars sont morts ! - Pleure sur eux.
Pleure sur toi et plains leur mère
Et puis maudis... maudis... maudis
Les corbeaux de malheur qui chantaient la guerre.
Lucien Jacques (La pâque dans la grange)

Je voudrais voir les gens qui poussent à la guerre sur un champ de bataille (A. Ponsard 1814-1867)

Je voudrais voir les gens qui poussent à la guerre,
Sur un champ de bataille, à l’heure où les corbeaux
Crèvent à coup de becs et mettent en lambeaux
Tous ces yeux et ces coeurs qui s’enflammaient naguère.
*****
Tandis que flotte au loin le drapeau triomphant,
Et que parmi ceux-là qui gisent dans la plaine,
Les doigts crispés, la bouche ouverte et sans haleine,
L’un reconnaît son frère et l’autre son enfant.
*****
Oh ! Je voudrais les voir, lorsque dans la mêlée
La gueule des canons crache à pleine volée,
Des paquets de mitraille au nez des combattants.
*****
Les voir tous ces gens-là prêcher leurs théories
Devant ces fronts troués, ces poitrines meurtries
D’où la mort a chassé des âmes de vingt ans.

Depuis six mille ans la guerre (Victor Hugo) Extraits 

Les carnages, les victoires,
Voilà notre grand amour ;
Et les multitudes noires
Ont pour grelot le tambour.
*****
Notre bonheur est farouche ;
C’est de dire : Allons ! mourons !
Et c’est d’avoir à la bouche
La salive des clairons.
*****
L’acier luit, les bivouacs fument ;
Pâles, nous nous déchaînons ;
Les sombres âmes s’allument
Aux lumières des canons.
*****
Et cela pour des altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez...
*****
Aucun peuple ne tolère
Qu’un autre vive à côté ;
Et l’on souffle la colère
Dans notre imbécillité.
*****
C’est un Russe ! Egorge, assomme.
Un Croate ! Feu roulant.
C’est juste. Pourquoi cet homme
Avait-il un habit blanc ?
*****
Celui-ci, je le supprime
Et m’en vais, le coeur serein,
Puisqu’il a commis le crime
De naître à droite du Rhin...
*****
On pourrait boire aux fontaines,
Prier dans l’ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux...
*****
Et l’aube est là sur la plaine !
Oh ! j’admire, en vérité,
Qu’on puisse avoir de la haine
Quand l’alouette a chanté.

Le cauchemar des deux mères

J’ai vu, dans un rêve attristé,
Deux chaumières presque pareilles,
Et deux voix dans l’obscurité,
Plaintives, qui frappaient mes oreilles.
***** 2
Chaque maison était cachée
Dans un de ces vallons prospère
D’où la guerre avait arraché
Bien des enfants et bien des pères ...
***** 3
La neige posait lentement
Ses flocons sur les branches mortes ;
La bise au long gémissement
Pleurait par les fentes des portes.
***** 4
Les deux foyers se ressemblaient,
Et devant le feu des broussailles,
Deux mères, dont les doigts tremblaient
Songeaient aux lointaines batailles
***** 5
Leur esprit voyageait là-bas :
Point de lettre qui les rassure !
Quand les enfants sont au combat !
Pour les mères tout est blessure !
***** 6
L’une comme l’autre invoquaient le ciel
Priant dans sa langue ou la nôtre :
" Mein Kind ! mein Kind " O vie cruelle !
" Mon fils ! Mon fils " murmurait l’autre.
***** 7
Et j’entendais, au même instant,
Sur un affreux champ de carnage,
Contre la souffrance luttant,
Gémir deux enfants du même âge
***** 8
Les deux soldats se ressemblaient,
Mourant quand il fait bon vivre ;
Et leurs pauvres membres tremblaient,
Bleuis par la bise et le givre.
***** 9
Ils s’éteignaient dans un ravin,
En proie aux angoisses dernières ;
Leurs yeux suivaient de loin en vain
La longue file des civières.
***** 10
Etrange réveil du passé,
Qui précède l’adieu suprême,
Evoquant pour chaque blessé
La vision de ce qu’il aime ;
***** 11
Et ces deux âmes, à l’heure sacrée
Où la mort, en passant, vous touche
Jetaient l’appel désespéré !
Que les petits ont à la bouche
***** 12
Les yeux remplis de souvenirs
Une main sur la plaie grande ouverte
Comme s’ils sentaient le froid venir
Dans la grande plaine déserte :
***** 13
" Mutter !... Mutter ! ... ( Mère )
Komm doch bei mir ( Viens, près de moi ! ) :
" Maman !... Maman ! (Implorait l’autre enfant )
- Viens, je vais mourir !
Eugène Manuel 1823-1902)

Verbales chimères et tragiques dégoûts

Il clame ce Tyrtée(1) aux insanglants lauriers
Que la mort nous est jeu facile
Qu’on rit, qu’on vibre d’aise aux chaleurs des charniers,
- Tu sais bien qu’il ment, ce fossile !...
*****
... Redis-lui le grand cri de tous ces morts sans nom
Qui, sourds aux verbales chimères,
N’évoquaient, ô Patrie, ô fureur du canon
Que le pauvre front des mères
*****
... Dis-lui que nous fûmes grands, peut-être ; mais dis bien
Que nous étions sans voix et pâles
Lorsque le vent hurlait à la mort, comme un chien
Et que nous avions peur des râles.
*****
Et qu’il nous descendait de tragiques dégoûts
Au fond de l’âme haletante
A voir porter, la nuit, vers de sommaires trous,
Des morts dans leur toile de tente...
*****
Alexis Danan ( 7 avril 1917)

Solitude

...Cassé en angle obtus à peine,
En ses habits d’une autre mode,
Un paysan claudique au lond des labours verts
*****
Les blés sont beaux.
Ils promettent d’user, aux prochaines moissons
L’ardeur des moissonneurs
Et le tranchant des faulx.
*****
Mais ni l’espoir des gains futurs
Et ni la splendeur de l’automne
Ne font fluer la joie
Au coeur du vieux semeur.
*****
Il se penche vers tous les automnes passés
Lorsqu’il allait, robuste encore, par les sentes
Avec, auprès du sien, le pas lourd de son fils.
*****
Leur bonheur était simple en leur humble maison
Où ne vibrera plus le chant grave du garçon
Que la guerre a couché dans les terres étrangères.
*****
- Et le vieillard cassé pleure, solitaire...

Les Martyrs

Vous qui dites : "Mourir, c’est le sort le plus beau"
Et qui, sans le connaître exaltez le tombeau,
Venez voir de plus près, dans ses affres fidèle,
Cette mort du soldat qui vous semble si belle.
*****
Vingt hommes à la file, au fond d’une tranchée,
Coltineurs d’explosifs sur leur tête penchée.
Tout à coup, c’est la mort qui passe : un tremblement,
Un souffle rauque, un jet de flamme. En un moment
Les soldats ont fondu dans la rouge fumée,
Et la terre en sautant sur eux s’est refermée.
Quand le brouillard puant s’est enfin dégagé,
Le néant : aux débris du boyau mélangés
Des parcelles de chair et des bouts de capote,
Un bras nu, une main crispée sur une motte,
Des cheveux arrachés, de la boue et du sang.
On retrouverait d’eux, en les réunissant,
Morceau de chair salie, de cervelle ou de moëlle
De quoi remplir à peine une moitié de toile.
*****
Et cet autre ? Le soir, de veille à son créneau,
Il s’est laissé surprendre au moment d’un assaut
Par les lance-flamme d’une attaque hardie.
Echevelé de pourpre et vivant incendie
Il court, mais de ses mains qui flambent peu à peu
Cherche en vain d’arracher ses vêtements en feu.
Il se tord comme un fer rouge dans une forge ;
Des cris terrifiants rissolent dans sa gorge
Qui vont épouvanter les veilleurs dans la nuit.
Il court sans savoir où, mais son bûcher le suit.
La flamme, plus puissante, enfin, qui le terrasse,
Jette sur le sol cuit la flambante carcasse.
Une étouffante odeur monte, de cuir grillé.
Ce n’est plus qu’un débris tout recroquevillé.
Et ce qui fut un homme à la pensée divine
En rougeoyants charbons lentement se calcine,
Laissant, en souvenir de son destin fatal,
Un tas de cendre où luit un fragment de métal.
*****
Et les autres, les millions d’autres, le dirai-je ?
A quoi bon évoquer leur funèbre cortège,
Et leur face tendue, et leurs gestes déments,
Les hommes aplatis sous les effondrements,
Les enterrés tout vifs dans les abris qui croulent,
Les fantassins fauchés par les balles en houle,
Les asphyxiés, les écrasés, les massacrés,
Les malades crachant leurs poumons déchirés,
Spectres dont le bacille épuise la poitrine,
Ceux qui mettent des mois à mourir dans leur ruine.
A quoi bon ! Ils sont trop, on ne les connaît plus.
Un monument, les mots exaltant leurs vertus,
Des fleurs et des drapeaux joyeux ! O morts de France,
N’est-ce pas qu’il ne faut qu’un douloureux silence,
A ceux dont la jeunesse a peuplé les tombeaux ?
Que le sort des martyrs n’est pas tellement beau ?...
Henry Jacques

Le défilé

...Le régiment défile, et l’enfant s’extasie,
Craintif, et se tenant à la jupe saisie
De sa mère, il admire, avide et stupéfait,
Et tremble. Tout à coup, celle-ci, qui rêvait,
Le regarde, et soudain elle devient peureuse.
La pauvre femme, qui naguère était heureuse
Que pour son fils ce beau régiment paradât,
Craint maintenant qu’il veuille un jour être soldat ;
Et même, bien avant que ce soupçon s’achève,
Son esprit a conçu l’épouvantable rêve
D’un noir champ de bataille où, dans les blés versés,
Sous la lune sinistre, on voit quelques blessés
Qui, mouillés par le sang et la rosée amère,
Se traînent sur leurs mains en appelant leur mère,
Puis qui s’accoudent, puis qui retombent enfin ;
Et, seuls debout alors, des chevaux ayant faim
Qui, baissant vers le sol leurs longs museaux avides,
Broutent le gazon noir entre les morts livides !...
F. Coppée

Petit, lorsque tu seras grand

Petit, lorsque tu seras grand,
On te dira d’aller te battre,
Et l’on te montrera du doigt
Ceux-là qu’il s’agit d’abattre.
*****
On te dira : c’est l’ennemi.
Sus à lui, petit, meurs ou tue,
Eventre-moi cet habit gris
Contre lequel tu t’évertues ;
*****
Et toi tu marcheras, bardé,
Sanglé, parqué, numéroté,
Vivant la tragique aventure
*****
Sans comprendre, enfoui dans la nuit,
Dans la misère et dans le bruit,
Noyé dans la boue et l’ordure,
*****
Jusqu’à ce qu’un morceau de fer
Fasse un pauvre tas de sa chair
Et la disperse en pourriture.
Henensal, instit à Roscoff, 1933

Le dormeur du Val - (Arthur Rimbaud 1854-1891)

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
*****
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
*****
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
*****
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
(Poésies souvenirs)

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