« Les
armes non létales sont des armes discriminantes qui sont
explicitement mises au point et utilisées pour frapper d'incapacité
le personnel et le matériel, avec un minimum de risque mortel, de
lésions permanentes au personnel et de dommages indésirables aux
biens et à l'environnement » (Directive 3000.3, policy for
Non-Lethal Weapons – juillet1996) (1)
Cette
arme conçue pour que la cible ne soit pas tuée ou blessée
lourdement a une origine civile et est principalement utilisée pour
le maintien de l'ordre dans la dispersion d'émeutes et
l'autodéfense. Ainsi
le Flash-ball LSBD apparu dans les années 1990 et Le Taser X26,
pistolet à impulsion électrique testé en 2004 font partie de la
panoplie des armes non létales (ANL).
Il
faut savoir que le Taser est
classé par le règlement
européen
n° 1236/2005 parmi les armes susceptibles d’être utilisées pour
infliger la torture.
D'après Amnesty
International
et d’autres organismes, son utilisation peut avoir des conséquences
mortelles. Quant
au Flash-ball, en janvier 2017, 6 ans après les faits était jugé à
Marseille la première affaire de bavure policière mortelle par tir
de flash-ball.
Bien que cela ne soit qu'un des nombreux témoignages ayant démontré la dangerosité de ces nouveaux jouets offerts aux forces de l'ordre, leur utilisation n'est non seulement pas remise en cause mais d'autres ANL plus sophistiquées sont actuellement à l'étude ou expérimentées dans divers lieux du globe.
Le
bâton du policier, même s'il a toujours des adeptes, va
progressivement être relégué au musée aux côtés du gourdin de
l'homme de Cro-Magnon !
Petit
tour rapide de la panoplie des « armes propres » :
- Le T-rad est un système vidéo couplé à un scanner chargé de surveiller une zone. Si un intrus est repéré, et après sommation, l'appareil enverra une décharge Taser.
- La Quadri, invention française (cocorico), est un mini hélicoptère pouvant tirer des cartouches incapacitantes. Il permet au policier de surveiller une zone depuis un poste de commandement sans avoir à être sur le terrain.
- Le V-MADS est un canon à micro-ondes (95GHz) monté sur un véhicule dont le faisceau, portant jusqu'à 500 mètres, entraîne des effets comparables à ceux d'un steak décongelé au four à micro-ondes en pénétrant la peau jusqu'à 1mm de profondeur avec une chaleur de 55 degrés.
- I-Robot est un petit robot monté sur chenilles pour surveiller une zone. Dans sa version française (re-cocorico) l'engin est doté d'un I-Pistol utilisant des munitions de calibre 12 appelée TAD.
- Et que dire des armes psychotroniques, étudiées et expérimentées depuis les années 1990. Prévues pour transmettre un champ d'énergie destructeur pour les équipements électroniques, elles peuvent également être utilisées en direction de personnes ; elles sont alors capables d'influencer le système nerveux avec des rayons non ionisants en provoquant des effets tant physiologiques que biologiques et neurologiques (nausées, vertiges, désorientation et autres séquelles plus graves etc.).
Vous
aurez remarqué que l'utilisation de la majorité de ces armes ne
nécessite pas la présence du policier sur le terrain. Flic ou
militaire, voilà deux métiers en pleine mutation et qui vont
s'avérer être de moins en moins dangereux, en tout cas comportant
moins de risques que le travailleur lambda ou le civil manifestant
dans la rue pour ses droits !
Les
études et expérimentations tant civiles que militaires ne sont pas
nouvelles : apparu aux Etats-Unis, le processus de légitimation
des armes non létales (ANL) date des années 1960-1970 période
marquée par l'émergence des masses contestataires et des mouvements
de défense des droits civiques. La théorie de la non-létalité a
pris également une place centrale dans la réflexion militaire sur
les « conflits asymétriques » (cf guerres
d'indépendance, guérilla) et la guerre urbaine ; pour exemple,
2006 a été la première expérience importante menée par les
Etats-Unis en Irak dans le contexte de gestion post-conflit. La
guerre des Balkans n'est pas en reste d'expériences quant à
l'utilisation d'armes non létales.
Le
concept de non-létalité postule pour finalité un armement
spécifique évitant la mort. Nul doute que cet « évitement de
la mort », cette « sauvegarde de la vie » a à voir
avec la pensée judéo-chrétienne : il s'agit d'affirmer au nom
de la morale chrétienne et de l'éthique libérale, pourquoi pas
« verte et durable », une nouvelle logique du Pouvoir
plus conforme à notre société moderne.
On
est en droit de penser que face à la violence, militaire ou sociale,
portée par le capitalisme, il s'agit de laisser croire à une sorte
« d'humanisation de la violence », une « humanisation
du Pouvoir capitaliste ». De la même manière que parler de
guerre humanitaire permet de légitimer la guerre, le concept de
non-létalité permet de légitimer le contrôle des masses au nom de
la nécessaire défense de la société contre l'ennemi, de
l'intérieur en particulier. En d'autres termes, le concept d'arme
non létale s'inscrit dans le remplacement du « pouvoir lié à
la mort » dans une société disciplinaire au profit d'un
« pouvoir diffus et massifiant » dans une société de
contrôle.
In
fine, l'objectif est bien de contrôler les corps et les esprits,
cela s'avérant plus rentable que donner la mort ! On accepte
bien d'être video-surveillés et fliqués par nos portables et
ordinateurs !
Il
n'y a pas à propos des armes non létales de séparation
conceptuelle entre développement civil et militaire, les programmes
s'interpénètrent et se complètent.
Initialement
les études émanant du monde civil mirent l'accent sur le potentiel
d'extension du contrôle social, qu'offrait le non-létal. Mais,
cette thématique civile du « contrôle des foules » va
imprégner rapidement le monde militaire, répondant à ses besoins
de « maintien de la paix », de gestion post-conflit, de
situations conflictuelles mondiales nouvelles où combattants et
civils sont de plus en plus entremêlés en particulier dans les
combats en zones urbanisées.
Des
recherches dans les domaines de « l'énergie dirigée »
par exemple, laissent entrevoir pour la première fois des
applications industrielles. Ainsi, sont en passe d'être développées
des armes tous azymuts ayant pour objectif une paralysie globale de
l'ennemi (militaire ou civil) grâce à toute la panoplie des lasers,
ondes acoustiques, électromagnétiques, super-caustiques etc.
Il
est intéressant de connaître les arguments militaires à propos des
armes non létales : « Le
contrôle des foules dans la conduite des missions de la paix et
d'assistance humanitaire est devenu pour l'armée une tâche aussi
courante que la destruction des blindés ou de l'artillerie ennemis
en temps de guerre » (Concept for Non-Lethal – United States
Army, décembre 1996).(1)
Encore
plus clair :
« Si les forces américaines sont capables, à travers
l'électronique, l'électromagnétique, l'énergie dirigée, de
neutraliser ou d'asphyxier les forces ennemies sans les détruire ou
les tuer, la conduite des opérations militaires en serait
révolutionnée. Le calcul global des coûts, des bénéfices et des
risques changerait alors et pour les Etats-Unis et pour leurs
adversaires » (The military Technical Revolution) (1)
Ceux
qui pensaient que le non-létal avait avant tout une fonction
humanitaire doivent revoir leur copie car, dans un système libéral
il y a d'abord et surtout des impératifs économiques : si ne
pas tuer tout en contrôlant le corps et l'esprit coûte moins cher,
pourquoi se priver de faire des économies, donc plus de bénéfice
?
Même
l'OTAN dont la politique en matière d'ANL est calquée sur la
politique américaine ne peut ignorer l'ambiguïté dans la
distinction entre létal et non-létal :
« les armes non létales n'offrent pas nécessairement une
probabilité nulle de provoquer des pertes en vies humaines ou des
lésions permanentes »
(Politique de l'OTAN sur les armes non létales – octobre 1999)
Point
de fausse naïveté, tout est affaire d'adaptation et de graduation
dans l'utilisation des ANL, les militaires américains, européens
n'ayant jamais nourri l'illusion d'une « guerre sans morts »
ou d'une « létalité zéro ». In fine, l'innocuité du
non-létal paraît quelque peu artificiel et conduit à la préférence
du terme d' « armes à létalité réduite », terme moins
contraignant sur le plan éthique, et qui permet de ménager une
marge d'appréciation et d'erreur au plan juridique.
Pendant
que des politiques, juristes réfléchissent aux meilleures
définitions, les scientifiques dans les milieux militaires et civils
sont à la pointe des recherches en matière d'armes à « Energie
dirigée », lasers tactiques de haute puissance, canons à
ondes millimétriques de basse puissance et autres mousses
paralysantes armes hyper-caustiques, armes chimiques incapacitantes
etc.
En
liant maintien de l'ordre et maintien de la paix, le non-létal
apparaît bien comme un nouveau concept stratégique chevauchant la
frontière entre civil et militaire du niveau local aux niveaux
national et international. Il y a là une stratégie globale
consistant à optimiser les techniques de régulation et de contrôle,
étatiques, paraétatiques et privées, destinées à gérer la vie
dans sa dimension économique et sécuritaire.
Avec
les armes non létales, nous sommes bien pleinement entrés dans
l'ère de « Big brother » ! En tout cas il y a de
quoi s'inquiéter de l'imaginaire politique et militaire de la
« technologie du corps », de ses mythes
stratégico-scientifique tels que « neutraliser sans
détruire », « vaincre sans tuer » etc.
A
la « destruction » de l'ennemi comme principe de la
guerre, nos penseurs modernes substituent sa « paralysie » ;
l'impératif de « contrôle du milieu » qui supplante
celui de la « conquête de territoire » conduit
inévitablement à une policiarisation de l'action militaire, et
inversement, à une militarisation de l'action policière. Cette
réalité est déjà à l'oeuvre depuis une quinzaine d'années sur
divers lieux de conflits urbains : Palestine, Liban, Somalie,
Côte d'Ivoire, Irak, Afghanistan etc., autant de terrains qui sont
des lieux où sont dilués les distinctions entre militaire et civil,
combattants et non-combattants, militaires et paramilitaires de
sociétés privées.
Létal
et continuum de force ont un point commun, la notion de guerre donnée
comme système de contrôle global adaptant les réponses au
contexte. A partir de là il est évident que l'idéologie du « zéro
mort » à laquelle est lié le non-létal, relève de
hypocrisie judéo-chrétienne face à la guerre, et de l'illusion
biopolitique consistant à faire croire en la « guerre
propre ».
Dans
le même temps où, au nom du choix de la non-létalité, les
politiques prétendent faire croire en la « guerre juste »
discriminant combattants et non-combattants, ils développent la
notion juridique de « légitime défense », légitiment
l'extension policière du champ de la coercition militaire aux
populations non directement combattantes. L'Irak est l'exemple type
d'une région où la frontière conceptuelle entre combattants et
non-combattants tend à disparaître.
Du
létal au non-létal il s'agit de graduer la réponse selon le
contexte, d'où la création d'un système combinant et modulant
fonctions létale et non-létale, désigné sous le terme d'armement
« rhéostatique ».
Létal
ou non-létal, il s'agit toujours et encore de guerre, guerres menées
par le capitalisme, guerres militaires ou guerres sociales ! La
distinction symbolique entre « Sécurité extérieure »
et « sécurité intérieure » est de fait abolie. Parce
qu'il fusionne en une seule pratique sécuritaire les deux aspects,
policier et militaire, du contrôle du corps et des populations, le
concept d'ANL, cherche à légitimer « contrôle des foules »
et « maintien de l'ordre » dans une « maîtrise de
la violence ». On est bien sûr en droit de se poser la
question de quel ordre il s'agit de maintenir, ou plus simplement on
est en droit de s'inquiéter de l'appropriation et de la légitimation
de la violence par l'Etat, serviteur zélé du capital.
Face
aux volontés d'émancipation de millions de femmes et d'hommes qui
refusent la barbarie capitaliste, face à la criminalisation du
mouvement social et à la répression des luttes sociales, le marché
des armes non-létales est colossal. L'utilsation de gaz, de produits
chimiques, d'ondes électriques et autres jouets incapacitants ne
vont pas tarder à tempérer l'ardeur des travailleurs !
Jean
Jaurès disait que « le
capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage » ;
cette affirmation est plus que jamais d'actualité. Létale ou
non-létale, le capitalisme a toujours besoin de la guerre pour
survivre à ses propres crises. Derrière les apparences trompeuses
du concept de non-létalité se cachent les pratiques de la recherche
techno-militaire avec, placée au centre, la bio-ingénierie du corps
humain, le règne d'une biostratégie, tecnno-stratégie du vivant.
De
la même manière que tous les pacifistes doivent refuser la course
aux armements
traditionnels,
il s'agit aussi aujourd'hui de dénoncer une énorme imposture
politique. Le retour du religieux et l'affirmation d'une éthique
libérale tendent à nous faire croire en une possible « humanisation
de la violence » alors qu'il s'agit à terme de contrôler le
vivant dans toute sa globalité sur la planète.
Grâce
aux concept des armes non-létales, nos démocraties modernes gagnent
sur deux tableaux :
- à l'intérieur, elles vont pouvoir éliminer toute velléité de contestation avec toute l'éthique et jurisprudence nécessaires,
- à l'extérieur le seuil du « politiquement acceptable » dans l'intervention dans un pays tiers va s'abaisser considérablement.
Pour
conclure :
« Dans
la discrétion des laboratoires, la recherche militaire continue et
progresse, souvent dans des directions qui laissent présager pour
les générations futures des défis autrement plus complexes que
ceux posés par les armements actuels » Luc Mampaey (2)
La
science fiction c'était hier, Welcome Big brother au pays de
Globalia !
Source
principale
: L'arme non létale dans la stratégie militaire des
Etats-Unis – Georges-Henri Bricet des Vallons
- Cité par G-H Bricet des Vallons
autres
sources :
- - Les armes non létales : une nouvelle course aux armements/Luc Mampaey (les rapports du Groupe de Recherche et d'Informations sur la Paix et la Sécurité - GRIP-janvier 1999)
-
Armes psychotroniques – Le Monde – juillet 2008
-
Les nouvelles armes non létales de la police...Une réalité d'un
futur proche - Site Rebellyon.Info – juin 2009
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