dimanche 7 octobre 2018

Une armée, pour quoi faire ?

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Le 1er décembre, au Costa Rica, c'est jour de fête nationale, mais sans défilé militaire car cette nation d'Amérique centrale, située entre le Panama et le Nicaragua, peuplée de 5 millions d'habitants a aboli son armée en 1948.
A l'heure des hausses de budgets militaires, de la propagation des guerres sur toute la planète, le Costa Rica, rejoint en 1990 par le Panama (1), demeure la preuve qu'une nation peut exister sans armée.
« Certains pensent que nous sommes vulnérables parce que nous n'avons pas d'armée. C'est parce que nous n'avons pas d'armée que nous sommes forts ».
Ces mots d'Oscar Arias Sanchez, ancien président costaricain et Prix Nobel de la Paix en 1987, s'inscrivent dans une tradition pacifiste vieille de plus de soixante dix ans.

Tout débute lors de l'élection présidentielle du 8 février 1948. Celle-ci, entachée de fraude électorale et de faits de corruption donne vainqueur le candidat de l'opposition Otilio Ulate Blanco mais le Congrès proche du gouvernement en place, déclare vainqueur le candidat du parti au pouvoir, le Dr Rafael Angel Calderon Guardia. Une grande majorité des bulletins de vote ayant disparu dans un mystérieux incendie, aucune vérification officielle n'est possible.
C'en est trop pour l'opposition qui rentre en conflit ouvert avec le gouvernement.
La principale figure de ce conflit est un simple fermier, José Figueres Ferrer surnommé « Don Pepe ». Celui-ci, n'est pas un inconnu ; il est très populaire depuis le 8 juillet 1942 date où il a dénoncé à la radio la corruption et l'intimidation orchestrées par le gouvernement. Arrêté en plein émission, emprisonné quelques jours il est alors contraint à l'exil et se réfugie au Mexique.
De retour dans sa ferme rebaptisée « La lucha » (la lutte), il va mettre sur pied une armée, la « Legion del Caribe» (la Légion des Caraïbes), forte de quelques 600 hommes qui vient à bout de l'armée du gouvernement, aidé par le Nicaragua, dans une guerre civile de deux mois à peine, mais qui fera néanmoins entre un et deux milliers de morts.

Don Pepe prend la tête d'un gouvernement provisoire, le temps d'instaurer la démocratie puis rend le pouvoir à Ulate Blanco le vainqueur légitime de l'élection de février. Durant les 18 mois de son gouvernement provisoire, Don Pepe va nationaliser les banques et, mesure phare entre toutes, abolir purement et simplement l'armée.
Ce jour là, Don Pepe se rend à la caserne de Bellavista dans la capitale San José, grimpe sur une échelle et porte des coups de masse aux murs : ce geste symbolique orne aujourd'hui les billets de banque de 10 000 colones. Quant à la caserne il en fait cadeau à l'université qui la transformera en musée national !
Le décret-loi du 1er décembre 1948 sera entériné par la Constitution adoptée en 1949 : « L'armée est abolie en tant qu'institution permanente »
Une première dans un pays indépendant !

Pour se protéger, le Costa Rica va signer des pactes de non-agression et des accords de protection. En cas de conflit il peut faire appel à « l'Organisation des Etats d'Amérique » créée pour assurer entre ses membres « un ordre de paix et de justice ». Ce sera d'ailleurs le cas lors d'une tentative d'agression du Nicaragua voisin en 1959.
C'est un contingent de 14 000 policiers (1 pour 360 habitants) qui remplace l'armée, en étant chargée de la sécurité publique, du maintien de l'ordre, de la surveillance des frontières et de la lutte contre le trafic de drogue particulièrement actif depuis quelques années dans cette région du globe.
Dans une région historiquement marquée par les guerres civiles et les coups d'Etat militaire (cf. Nicaragua, Salvador, Guatemala) quel défi lancé par Don Pepe qui s'exclamait en avril 1948 : « No quiero un ejercito de soldados, sino uno de educatores » (Je ne veux pas une armée de soldats mais d'éducateurs) !

Alors que le Guatemala, le Salvador et le Nicaragua sombraient dans la guerre civile, 90 % de la population répondait « NON » lors d'un sondage sur le retour de l'armée ! A croire que les costaricains se passent de la présence des militaires, ce que semble d'ailleurs confirmer Daniel Matul, professeur de sciences politiques :
« Supprimer l'institution militaire répondait à une nécessité politique. L'armée était divisée, l'éliminer permettait d'éviter tout risque de renversement du pouvoir. Cela dit, ce n'était pas la raison principale et abolir l'armée était avant tout une décision visionnaire. En à peine dix ans, l'espérance de vie a décollé, le taux de mortalité due aux maladies bénignes a chuté et l'éducation a fait un bond incroyable. Il y a eu une vraie cohérence à dire : nous allons arrêter d'acheter des armes pour payer plus de professeurs et de médecins ».
Et en effet, selon la « Fondation Arias pour la Paix et le progrès humain » (2), la suppression de l'armée a permis le financement des universités et des trois plus grands hôpitaux du pays. Les budgets de la santé, de l'éducation ont été augmenté de près de 30 % en 10 ans. Le pays a connu pendant dès les premières décennies une croissance bien supérieure à l'ensemble de ses voisins et aujourd'hui le Costa Rica peut s'enorgueillir d'avoir un taux d'alphabétisation de plus de 97 %, une espérance de vie de 80 ans ! Le Costa Rica, le plus riche d'Amérique centrale, se trouve placé en terme de développement économique au 48ème rang mondial quant le Nicaragua est au 110ème, le Guatemala au 118ème.

Le Costa Rica s'est fait le chantre de la paix avec l'installation à San José, en 1979 de la Cour Interaméricaine des droits de l'homme. Profitant de ce prestige international, après le prix Nobel de la Paix octroyé en 1987 au président costaricain Arias Sanchez, le pays lance en 1996 un appel pour « réclamer un code de conduite sur les transferts internationaux d'armes ». Cet appel débouchera sur le traité relatif au commerce des armes adopté par l'ONU en 2013. Quant au respect des traités l'ONU, c'est une autre histoire !
Le Costa Rica milite aujourd'hui pour l'élimination totale des armes nucléaires.

L'historienne Clotilde Obregon rappelle que l'idée d'abolir l'armée n'est pas survenue du jour au lendemain :
« En 1825, partant de l'idée que la justice devait être la même pour tous, les tribunaux militaires furent supprimés. Les soldats, ainsi que des ecclésiastiques furent alors jugés devant des tribunaux civils. Le Costa Rica choisissait d'être un Etat « civiliste ». Dès lors, le budget militaire ne cessait de s'amenuiser et en 1948 lors de la brève guerre civile l'armée ne comptait que 800 hommes, à peine plus que l'armée populaire levée par « Don Pepe » !
Comme l'explique Luis Guillermo Solis l'actuel président costaricain, cette culture politique fait du Costa Rica le pays le plus sûr d'Amérique centrale :
« Ne pas avoir d'armée est une source de paix et de tranquillité. Contrairement à l'Europe,où l'armée est associée à la défense de l'Etat, à l'essence même de la Nation. Mais dans beaucoup de pays d'Amérique latine, l'armée est associée au terrorisme d'Etat, à la destruction de la démocratie, à la perversion des institutions ».
Un autre ancien président costaricain, Miguel Angel Rodriguez, s'exclamait en 2001 : « Comme président d'un pays sans armée, la recommandation que je fais à tous les pays d'Amérique est que nous éliminions les armées. A quoi bon les réduire, éliminons-les ! ».
Face aux politiques de surarmement partout dans le monde, en Europe et en particulier dans la France belliciste d'Emmanuel Macron, le Costa Rica fait figure de modèle politique et social en ayant préféré les médecins et les éducateurs aux militaires.
Face aux milliers de suppressions de postes d'enseignants, face aux fermetures de classes, d'écoles, Rosibel Salas Herrera, directrice d'un lycée professionnel rural livre un autre ordre des choses possibles :
« Dans (mon) pays, il y a une couverture à 100 %, l'école est partout...La plupart des écoles ont des bibliothèques, salles informatique.. »
Et face aux attaques contre notre système de santé, Elvira, étudiante infirmière livre une autre vérité : « Côté santé, les costaricains bénéficient d'une couverture sociale et d'une médecine performante... »
Tout n'est bien sûr pas idyllique : des peuples indigènes vivant dans des zones reculées manquent de moyens dans les écoles, les hôpitaux ont du mal à répondre aux urgences de la population et la police qui a remplacé l'armée peut se montrer répressive...comme partout du reste !
Il n'en reste pas moins que le Costa Rica, ce pays sans caserne nous montre qu'il est possible de vivre sans armée, qu'il est possible de résoudre les conflits sans violence.
En effet, en 70 ans ce pays « civiliste » n'a jamais été sérieusement inquiété.

Mettre fin aux dépenses militaires afin d'augmenter les budgets alloués à l'éducation, à la santé, voilà ce qui serait une vraie politique garante de la Paix universelle...

Qui a dit que l'armée était seule la garante de la Paix ?

  1. On compte une trentaine d'Etats souverains de très petite taille et de moins de 500 000 habitants qui ne possèdent pas d'armée et disposent d'un accord de défense avec un autre pays cf. l'Islande)
  2. Du nom d'Oscar Arias Sanchez, président costaricain, Prix Nobel de la Paix en 1987, initiateur des accords de Paix pour la pacification de l'Amérique centrale. Il fut le fondateur de la Fondation Arias pour la Paix et le Progrès.

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